Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 7 septembre 2020

Venise m'euphorise

Comme prévu, la Sérénissime, à cause de la pandémie (grâce à elle ?) m' est apparue telle que je ne l'avais jamais vue.
Et ce n'était que la quinzième fois que je l'aimais.
Comme dans notre pays, où les Français ont choisi, dans leur majorité, de passer leurs vacances, Venise a attiré une foule d'Italiens ravis de découvrir la cité des Doges rendue à elle même, sans ces touristes d'un jour irrespectueux de sa beauté : pas de bains de pieds dans la lagune, pas de beaufs ingurgitant leur pizza "al volo" assis sur les marches de San Marco ou sur celles des multiples "pontile", pas de grands bateaux de croisière déversant leurs foules d'un jour armées de perches-à-selfies, transformant cette ville éminemment baroque en parc d'attractions  au parcours balisé.
On entend donc essentiellement la langue-musique de Dante ; s'y égarent parfois, minoritaires, celles de Goethe ou de Molière.
Dans le vaporetto, qui, il y a peu, éveillait le souvenir du métro parisien aux heures de pointe, on entend râler, en toute logique, un couple de jeunes français se plaignant que les "bâtiments" (!) ne sont pas assez éclairés (on est au crépuscule) pendant que je jouis de la quiétude qui règne enfin sur le Grand Canal dont les eaux ont quasiment retrouvé leur pureté originelle.
Le soir, les places, les venelles, la "plage" qui jouxte le "Rialto mercato", où l'on déguste l'ultime "grappa" avant de rentrer au couvent (l'hôtel fut en des temps reculés un monastère), laissent entendre le silence que trouble à peine le clapotis des eaux du canal ou, parfois, le toussotement d'un vaporetto fatigué d'avoir subi tous les assauts.

Quant aux vrais Vénitiens - il en reste quelques uns ! - on sait, l'expérience aidant, où les trouver, en population lassée des diverses invasions barbares d'hier et d'aujourd'hui ; on apprécie leur discrétion et l'orgueil qui se manifeste par leur refus de consommer, désormais, cet "Aperol Spritz" vendu à prix d'or sur les terrasses parisiennes : leurs spritz à eux sont maintenant rouges de Campari, signe de résistance au marketing de la maison Barbieri devenue, grâce à son breuvage orangé, firme internationale florissante.
Autour des "cicheti"  - ah, parmi ceux-ci, cette sorte de brandade de morue sur toasts ! - ils se retrouvent dans d'obscurs "bacari" connus d'eux-seuls, quand le visiteur lambda se laisse gruger par des "aperitivi" sans générosité sur l'artère principale du Cannaregio, celle où le touriste harcèle l'autochtone de "San Marco, please ?". Excédés, mais non sans humour, des petits malins ont tracé à la craie des indications fantaisistes destinées à égarer le passant qui tourne et vire sans jamais aboutir à la fameuse place aux pigeons (dans les deux sens du terme).
Je pense, ayant relu Taine à la faveur de ce séjour, à l'émerveillement qui le saisit lors de sa découverte de la Sérénissime lors de l'avant-dernier siècle (comme le temps passe), et, comme lui et tant d'autres visiteurs sachant la regarder, en savourer toute splendeur, j'ai, à chaque fois, le cœur serré quand il me faut la quitter.

Je vous le promets : ce sera mon seul coucher de soleil. Mais, reconnaissez que ce n'est pas laid.

En guise de carnet de voyage, j'ai choisi de publier, ci-dessous, des photos (avec ou sans légende) qui, à mes yeux, racontent ce bref séjour.
Je ne vous apprendrai sans doute rien, internautes chevronnés, en rappelant qu'il suffit de cliquer sur les photos pour les afficher en très très grand :



















9 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Silvano,
Vous éveillez en moi des souvenirs aussi émus qu'humides...
Il y a deux ans, j'avais passé une semaine absolument seul dans la Sérénissime, avant le carnaval et ses hordes sauvages, et totalement affranchi des contraintes... Une errance de sept jours pleins, dans la solitude des musées et des ruelles aussi désertés qu'abondait la foule vulgaire sur la piazza San Marco.
Les souvenirs que j'en garde sont excellents -- à l'exception unique de ce restaurateur qui, un midi, dans Cannaregio, m'avait débouté parce qu'il n'y avait pas, dans son restaurant, de table pour personne seule... "Va bene, stronzo!" avait été ma peu amène réponse...
Dans le froid et le vent, et l'humidité terrible de Venise en son hiver, j'étais venu accompagné, non de Taine, mais de Suarès (Le Voyage du Condottiere) et de l'excellent Régnier (L'Altana et Histoires incertaines). Si vous ne les avez lus, précipitez-vous ! Je rembourse si cela ne vous plaît pas.
Bien à vous,
Un exilé en partance pour la Chine... une Chine pour une fois presque cythéréenne : dans moins d'un mois, voyage et quarantaine passés, les bras de mon amoureux, désertés pendant 269 jours !

G.

ludovic a dit…

Un rêve !

Enguerrand a dit…

Merci G pour Suarès et Régnier ! Et son Excellence pour Taine !

Enguerrand a dit…

Le regard du très jeune Truman Capote est magnétique !

Silvano a dit…

ludovic semble répondre à G.

Antoine a dit…

Ce beau carnet de voyages en images suscite en moi le désir de faire ma valise et de prendre le train de nuit pour Venise.

Jules D. a dit…

Comme Antoine. Hélas, il va falloir reprendre les études dans un cadre de béton à des années-lumière de ces merveilles.
Jules

Fabien de Nîmes. a dit…

Passionnant, merci.

Silvano a dit…

Merci à vous, Fabien le Gardois !
Jules : vous saurez vous évader, je le sens !