Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 29 août 2022

Mon amant de Saint-Jean | Chapitre II - Épisode 25 : Des nouvelles du pays

(...) torse nu, en plein travail...
Résumé
Octobre 1937
Pour un premier samedi soir de loisir après sa première semaine au lycée de garçons de la ville, Claude, le narrateur, est allé au cinéma Odéon avec ses deux "protecteurs" montpelliérains voir le film de Jean Renoir La grande illusion. Les décors en extérieurs ont ravivé les souvenirs d'un séjour de scouts en Alsace de Marcel, au cours duquel il a pris sous son aile un garçon plus jeune, Roland, avec lequel il n'a cessé de correspondre. Depuis une lettre où Roland, l'Alsacien, lui confiait à demi-mots ses penchants homosexuels, qu'il voulait dissimuler pour "rentrer dans le rang", et malgré sa réponse, plus aucun courrier n'est parvenu de Neuf-Brisach. Le lendemain, Claude va fêter en famille son seizième anniversaire au bord du Lez où son grand-oncle lui offre un déjeuner qui s'annonce plantureux.


J’étais encore lové dans les bras de Morphée quand se fit entendre la sonnette de l’entrée. Les éclats de voix provenant du rez-de-chaussée parvinrent à m’éveiller tout à fait. Le réveille-matin indiquait tout de même onze heures et demie et je devais faire une minutieuse toilette avant de revêtir ce que j’avais de plus convenable pour faire honneur aux festivités qui m’étaient dédiées. Je vérifiai que la salle d’eau était libre et m’abandonnai avec délice au ruissellement réparateur. Sur la poignée de ma porte, Mélanie avait accroché mon costume de cérémonies fraîchement repassé. Fringant, je descendis jusqu’au salon où j’eus la plus belle des surprises : Gabrielle, la maman la plus douce de la terre, m’y attendait, une tasse de café en main ! Elle avait quitté Saint-Jean aux aurores, pris l’autocar puis la Micheline et c’est à son arrivée que je devais ce réveil carillonnant. La maisonnée s’animait de maints préparatifs : autour de nous vibrionnaient tour à tour l’oncle et ma grand-tante. Magali tournoyait dans l’espace, changeant de robe toutes les dix minutes ; Mélanie, plus discrète, se cantonnait à son domaine de prédilection, la cuisine, où elle réchauffait le café sur demande. Je m’enfouis dans le giron de ma mère, réalisant à cet instant combien sa tendresse m’avait manqué tout au long de ces semaines de vie citadine. Elle m’informa de l’actualité villageoise, dont cette nouvelle sensationnelle que Solange Gleize avait épousé en mairie le berger Delmas ! N’assistaient au mariage que les tondeuses – il faudrait bien se faire embaucher en temps utile –, Jacob, le vieil excentrique des Aspres, Clément, le fils du boulanger  ce « pauvre petit », s’apitoyait-elle – et, ce qui n’avait pas manqué de l’étonner, « ton copain Goupil, celui qui va aux éclaireurs avec toi, avec qui tu fais des balades à vélo, l’été ».
   Elle ajouta qu’un chambard de tous les diables avait ameuté fin septembre le bon peuple devant la maison du Maire, Viguier. On ne sut pas de quoi il retournait, mais toujours est-il que Pierrette, la fille de l’édile, avait-été mise en pension chez les bonnes-sœurs de Ganges, dont la seule évocation faisait frémir d’effroi les gamines du village. Les nonnes de Sainte-Marie n’étaient pas des parangons de douceur. Elles avaient recours aux châtiments corporels, dont le moindre était le piquet, à genoux sur une règle en fer. Elles avaient recours à des sévices qui justifiaient leur réputation, au nombre desquels des stations debout dans la cour, qu’elles infligeaient aux « sales petites morveuses », de préférence au plus froid de l’hiver, sous la pluie ou, mieux encore, pour satisfaire leur sadisme, sous les bourrasques de neige de janvier. « Si tu ne te tiens pas correctement, je t’envoie à Ganges ! » était une menace proférée couramment par les parents à court d’arguments quand leur progéniture leur donnait quelque souci. Mon père, toujours prêt à moquer ceux qu’il appelait culs-bénits, utilisait l’expression pour plaisanter, la chantonnant comiquement quand je mettais les coudes sur la table ; et ça suffisait pour que je rectifie la position en riant. J’avais réprimé un frisson à l’évocation de celui qui ne quittait pas mes plus tendres pensées. Quant à la fille du Maire, je pouvais supposer sans craindre de me tromper que « Clarabelle », dont on se souvient des agissements peu catholiques, avait fait l’objet de colportages malveillants parvenus aux oreilles de son père, ou, pire, qu’elle avait été prise en flagrant délit.
   Pour finir, maman m’informa que ma sœur Madeleine, de trois ans mon aînée, « fréquentait ». L’élu de son cœur n’était autre que Jean-Paul Raynal, avec lequel je l’avais surprise l’été dernier en posture équivoque dans la grange qui jouxtait la bergerie. « Ce sera un beau couple » affirmai-je doctement, songeant qu’accouplement il y avait eu, et sous mes yeux, encore ! En dépit de cet empressement à prendre une avance sur la nuit de noces, c'était un bon garçon, robuste, qui ne rechignait pas à l’effort. Il travaillait pour la commune, en indispensable factotum, sciant, clouant, maçonnant, jardinant, quel que soit le temps. Il assurait l’entretien de la Mairie et de la salle communale où il participait à l’organisation de manifestations variées. Il prêtait la main, bon an mal an, à l’organisation de la fête votive sans pour autant fréquenter la paroisse. C’est en employé municipal que mon futur beau-frère y participait, chargé notamment de monter l’estrade pour l’orchestre et de préparer le traditionnel feu d’artifice. Sans pouvoir revendiquer le qualificatif de « bon parti », le jeune homme gagnait de quoi faire vivre un ménage. Etienne Jacob l’ayant aperçu un matin torse nu, en plein travail, nous avait dit dans un soupir le trouver fort à son goût.
(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022

1 commentaire:

Pivoine a dit…

On en sait un peu plus sur la vie de Saint Jean... le futur beau-frère me fait penser au maçon de Douleur et gloire... sais pas pourquoi. // je n'ai pas connu de religieuses sadiques, à vrai dire, elles étaient plutôt maternelles, mais ? (Avec l'esprit des années 60 tout de même...) par contre, certaines institutrices l'étaient carrément (surtout une...) or nous étions des modèles de sagesse... dans certains collèges de garçons, les élèves appelaient la règle du prof Caroline. Authentique...