Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 19 septembre 2022

Mon amant de Saint-Jean | Chapitre II - Épisode 28 : Premier rendez-vous

Ange ou diable ? Méfiance !

   « Tu avais disparu, cet après-midi ! On m’a envoyé à ta recherche et je t’ai vu avec le petit Boisselier. Drôle de famille, ces Boisselier ! Le père, l’un des meilleurs clients du père Fabre, d’ailleurs, est le propriétaire de l’Hôtel du Midi. Ce sont des catholiques pratiquants, très « vieille France ». Il y a trois ans, quand les ligues voulaient prendre le pouvoir, à Paris, Marcel s’est battu devant le lycée avec le fil aîné, qui est Action Française, et lui a mis une trempe dont il doit se souvenir. La mère est une belle femme blonde d’origine belge, je crois, ou hollandaise, qui mène une vie de grande bourgeoise, belles toilettes, automobile décapotable et tutti quanti. On raconte qu’elle aurait un amant de vingt ans son cadet, du peu que j’en sais. Le père règne en maître sur le plus bel hôtel de Montpellier où Émilie a fait quelques extras dans le temps. Un despote, paraît-il. Les deux fils sont livrés à eux-mêmes, on dirait. Ton copain a été enfant de chœur : je l’avais vu, il y a deux ou trois ans, portant la croix, en tête de la procession de Pâques ; le Christ est ressuscité, alléluia, et tout le tremblement. Je le croise souvent en ville. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il est toujours seul. Je n’arrive pas à deviner si c’est un ange ou si c’est le diable ; méfiance !  En tout cas, tout à l’heure, il te regardait comme un minot qui salive devant la vitrine d’une pâtisserie ! » gloussait Magali lors de cette conversation chuchotée de l’avant-sommeil devenue rituelle. Je tentai de botter en touche, affirmant qu’Émile n’était rien de plus qu’un camarade de classe avec lequel j’avais plus d’affinités qu’avec d’autres. « Il te plaît, cousin. Vous vous êtes bien trouvés, va ! » Je haussai les épaules et chassai ma cousine de ma chambre. L’image de Jules se superposait dans mes rêves à celle du blond lycéen. Je ne sais auquel des deux je dus ma jouissance nocturne. Avant que le sommeil ne m’emporte, je pensai à une plaisanterie de Marcel évoquant le plaisir solitaire. La surdité me guettait à coup sûr. Je m’endormis joyeux.
   Nos sens sont toujours sur le qui-vive à seize ans : en ce lundi matin, le pantalon long qu’Émile portait 
 pour me prouver son respect, je n’en doutais pas – ne dissipa en rien l’envie, tant combattue, d’avoir avec mon condisciple de plus intimes rapprochements. Je parvins néanmoins à me concentrer sur le cours de Cordier, fuyant les regards en coin de mon voisin, évitant soigneusement tout frôlement de nature à allumer la mèche. À midi, j’eus beau me dépêcher, le gentil sorcier m’attendait sous le porche. Un regard vers son pantalon, puis vers moi. Un sourire mortel et cette voix de fauve, boudiou ! « Tu vois que je fais des efforts. L’an dernier, même en plein hiver, je portais encore des culottes courtes. Tu n’aurais pas survécu. » riait-il. « Ah, je n’avais pas remarqué. » ironisai-je, pensant à la conversation de la veille où avaient-été mises au jour ces émotions qu’il est impossible de dissimuler. « Si tu veux, jeudi, je t’invite à bouffer. On ira au buffet de la gare. À moins que le terrain soit dégagé et qu’on aille manger dans les cuisines de l’hôtel de mon paternel. Le chef m’aime bien ; il sera content que j’aie un copain. J’ai jamais emmené personne. » J’étais bien trop flatté pour refuser. Trop excité, aussi.
Avant de me quitter, il me souffla : « Ça va nous faire du bien d’échanger nos secrets, non ? »
  Les jours suivants, je ne cessais de penser à ce rendez-vous fixé avec une autorité tranquille, comme si les choses allaient de soi. La veille me vint l’idée de décliner, que neutralisa aussitôt la conviction qu’il était de mon intérêt d’avoir un ami au sein du lycée, où la plupart de mes camarades ne pouvaient susciter ma sympathie. Les fils de bourgeois, vêtus comme des princes, qui péroraient à longueur de récrés sur la gent féminine et leurs prétendues conquêtes, me paraissaient fort éloignés de mes goûts. Je repérai cependant deux ou trois garçons dont le comportement studieux agissait sur moi comme un aiguillon. Je souhaitais faire partie de la caste des bons élèves, aspirant à me mesurer aux meilleurs. Émile était un bon élément. Il excellait en français, mais aussi en latin où j’avais de nombreuses lacunes que les quelques heures passées avec Marcel Fabre ne pouvaient suffire à combler. Je ne me cachais pas que les qualités scolaires que je prêtais à ce garçon si différent des autres venaient au secours de mes pulsions d’un autre ordre, comme pour me déculpabiliser ou me trouver de fallacieux prétextes à le fréquenter davantage.
   Le chef de cuisine du Grand Hôtel du Midi, Monsieur Boisgard, disposait d’un espace personnel qui lui servait à la fois de bureau et de salle-à-manger. C’est à sa table que je pris place, avec Émile, en ce jeudi d’automne où devait se nouer une relation hors du commun.
(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
Épisodes précédents : cliquer


Illustrations : 
1/ Glané
2/ Le Grand Hôtel du Midi, Montpellier.


10 commentaires:

Ludovic a dit…

Silvano joue à fond de l'effet feuilleton hebdomadaire. Comment allons nous tenir jusqu'à lundi prochain ?

Joachim a dit…

L'éveil des sens. Palpitant.

uvdp a dit…

Ma méthode Ludovic : imaginer la suite en mangeant du chocolat .

Ludovic a dit…

Combien de chocolat UVDP ? Un carré par jour ou une plaque par jour ? Le problème c'est que je n'ai pas beaucoup d'imagination: je me demande par exemple ce que pourraient faire ces deux garçon si au lieu de lui faire visiter les cuisines de l'hôtel l'ange blond avait fait visiter les chambres à notre jeune héros ???

Pivoine a dit…

Ils pourraient toujours répéter la troisième et la cinquième déclinaison, en attendant que l'auteur se décide ;-) et pendant que les lecteurs avalelent les morceaux de chocolat... les feuilletons ont un côté vraiment addictif (comme le chocolat...)

uvdp a dit…

Ludovic : il faut que vous vous adressiez à un spécialiste , par exemple : https://www.amazon.fr/Baur-Kit-m%C3%A9decin-chocolat-noir/dp/B01GOL6QH4 . Pour moi 3 carrés après chaque repas , marque Villars , chocolat noir 72% .
Je ne peux vous dire ce que j'ai imaginé : Silvano m'a interdit de le dire .

Alex Cendre a dit…

Pourquoi Amazon ? On trouve ce chocolat partout. Laissons Sylvano imaginer pour nous et nous surprendre.

uvdp a dit…

Alex Cendre :
1/ mon lien ci-dessus ne concerne pas le chocolat Villars
2/ le chocolat noir Villars se trouve principalement dans les magasins Casino , on peut aussi le commander en suisse : https://www.villars.com/
3/ il faut écrire Silvano avec un "i" et non un "y" , sinon cela le met de méchante humeur

Jules D. a dit…

J'adore. Et le garçon en illustration est magnifique.
Jules

Alex Cendre a dit…

Pardon pour cet y involontaire. C'est la simple évocation d'Amazon qui m'a fait réagir. Pour le chocolat Villars, je sais.