Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 13 février 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 63 : La foi du charbonnier

  

 (...) une musique venue du surnaturel.

   Pendant quelque temps, pas de jour sans que les badauds fassent une halte devant Les Dames de France. C’était l’attraction du moment. Certes, les faits étaient condamnables, mais j’avais pris le parti de ne pas participer aux conversations sur un sujet qui faisait le miel de mes camarades de lycée. Je pensais que le bataillon de garçons qui avaient participé à ces parties fines en disaient long sur le pouvoir de l’argent et, quand les amoureux que nous étions devaient recourir à mille subterfuges pour cacher nos sentiments, j’en ressentais un vif dégoût. André avait la même sensation, tandis que Marcel, comme à son habitude, traitait l’affaire sous l’angle de la dérision. C’était pour lui matière à plaisanterie, que ces notables ventripotents, jusque-là respectés et, mieux encore, redoutés du petit peuple, car ils avaient avec eux le pouvoir d’apposer un timbre sur des documents qui lui étaient essentiels, ou, pour Poirier, celui d’embaucher ou de débaucher à merci. Son amant, en fervent communiste, le rejoignait sur ce point. Nous croisions le fer lors des rencontres du samedi au Colombier. Je ne sais pas, si, à cette époque, Foulques connaissait les lois qui s’appliquaient en URSS aux invertis, et les sanctions qui les frappaient durement. La « foi du charbonnier » était une caractéristique des admirateurs du « petit père des peuples », banalisée en dogme par le Parti.
   Pierre Bloch ne s’intéressait pas seulement à la littérature et aux sciences humaines. Il était épouvanté par les informations qui parvenaient de l’Allemagne nazie sur les Juifs, et citait, également, les Tziganes et les Homosexuels, bien que, dans cette relation naissante, je n’aie pas évoqué ma différence. Peut-être était-il apte, toutefois, à me comprendre. Il était trop tôt. Il avait noté, bien sûr, ma relation avec Émile, l’avait abordée très brièvement, probablement par pudeur, ou bien qu’il ne voulût en juger. Tout juste avait-il affiché une grimace d’aversion en prononçant le nom du frère aîné de mon amant. Un jour que j’étais devant sa maison, j’entendis une musique venue du surnaturel. Pierre s’exerçait au violon, dont il jouait admirablement. Il me confia qu’il suivait les cours du Conservatoire de la Place Sainte-Anne, logé dans une bâtisse respectable dont je ne connaissais pas, jusqu'alors, la destination. Il m’invita à assister aux auditions de fin d’année scolaire qui se déroulaient en juin. Grâce à Émile qui m’avait fait découvrir Bach, et à Pierre, qui, selon moi, était un grand musicien, ma culture musicale avait progressé à grandes enjambées au cours de cette première année montpelliéraine.
   J’abordai, à la première occasion, le scandale « des Dames » avec Émile, qui gloussa : « Si j’avais su que ça pouvait apporter la fortune ! Avec ces vieilles peaux, faut pas être rebuté ! »
Puis la perplexité marquant ses traits « Au fait, sais-tu que le père Poirier est « Action Française ? Mon frère doit le connaître. »
À suivre
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : Orchestre National de Radio France

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