(...) jour après jour, nous nous sommes trouvés. |
Il l’a fait. Nous voici désormais à égalité. Je lui avais écrit : « La chair est faible, je le sais mieux que quiconque. Comment pourrais-je te reprocher de céder à l’appel des sens, moi qui, tant de fois, déjà, me suis abandonné dans les bras d’un autre ? Nous savons bien que ce n’est pas ça, l’infidélité. Oh, tu pourrais penser que c’est bien commode, pour nous, mais que pouvons-nous contre les exigences de nos corps ? Nous savons que rien ne peut détruire ce qui nous unit, et, tu l’as dit dans ta lettre, rien n’est au-dessus de notre amour. Je l’ai lue et relue tant de fois, et j’en ai dilué l’encre de mes larmes, au point que je ne peux la relire qu’en faisant appel à ma mémoire. Je pourrais te la réciter :
Mon Claude que j’aime tant. J’ai grande honte. Je t’avais dit que ce serait avec ta permission, mais c’est comme une force diabolique qui s’est emparée de moi, mardi dernier vers sept heures du soir. Je suis sorti de l’atelier de mon père avec, en tête, l’idée de marcher, de penser à autre chose, de respirer ce grand air de printemps qui est drôlement grisant. C’était comme si j’avais bu avec excès. Penser à autre chose, je disais. Mais c’est à la chose que je pensais, et à toi, à ce que nous ferions tous les deux si la chance, tout à coup, nous réunissait chez « cheveux-de-neige », dans la chambre, là-haut, où il faut se baisser pour ne pas se cogner, où ça ne risque pas d’arriver, parce que, sitôt montée la dernière marche de l’escalier, on se jetterait sur le lit qui grince, pas discret. J’avais ça en tête, et mon sexe me faisait mal en poussant comme un fada à en faire sauter les boutons de la braguette de mon pantalon trop serré. Comme je marchais sur la grand-route pour sortir du village, j’ai senti une présence sur mes pas. C’était Andrzej, le Polonais, l’apprenti de Chaumard. Clément m’avait dit « il doit se faire du bien en pensant à toi, il te guette tout le temps, il va exploser en vol ! ». Comme je te l’avais dit, quand je passe dans la ruelle, au-dessus du fournil, il me fixe comme s’il allait me dévorer tout cru. Il m’a suivi à bonne distance, au début, puis, quand je suis sorti du bourg, il s’est approché de plus en plus jusqu’à ce que j’entende sa respiration. Il a dit, dans son français de bazar : « Mène-moi, je faire bien à toi. » Je crois que je l’ai regardé méchamment, mais je ne l’ai pas repoussé. J’ai continué jusqu’à nos amandiers, et je me suis assis derrière le muret, là où, tu te souviens peut-être, la mère Gleizes nous avait surpris un jour. Le gars s’est assis à côté de moi, et je l’ai attiré sans douceur, et je me suis collé à lui. Il était aussi excité que moi et je me suis laissé aller complètement. Il avait la peau douce et sentait le bon pain. J’ai ouvert son pantalon et le mien, j’ai caressé ses fesses qui sont comme des joues de bébé et, sans attendre davantage, je l’ai pris. C’était bizarre, tantôt il criait ou rigolait. Il était content. Moi, je suis venu très vite. C’était comme se libérer de grosses chaînes qui compriment le corps depuis trop longtemps. Bien sûr, je te le jure, je ne l’ai pas embrassé sur les lèvres, juste dans le cou et rien de plus. Lui, il aurait fait n’importe quoi pour me plaire avec sa bouche, mais je ne lui ai pas laissé le temps. Il s’est fini tout seul aussitôt que j’ai joui. Nous n’avons pas échangé deux mots, et je lui ai fait signe de partir. Il m’a souri, et je lui ai fait bonne figure, c’est bien le moins après ça. Ce serait mentir de dire que ce n’était pas agréable. Ce n’était pas comme l’amour que nous faisons, c’était autre chose, sans doute comme toi quand tu le fais avec ton ami Émile, si j’ai bien compris. J’espère que tu viendras pour Pâques et que nous irons chez Etienne pour faire ce qui n’est qu’à nous. Tu te souviens comme moi que nous ne savions rien et que jour après jour, nous nous sommes trouvés. Nous avons encore beaucoup à explorer de l’autre. Et surtout, nous nous embrasserons comme jamais. Nous sommes égaux maintenant. Pardonne ce que j’ai fait comme je te pardonne. Amen. Amour.
Ton Jules.
Peu de temps après la réception de cette émouvante missive, Marcel Fabre vint me chercher à la sortie du lycée. Blême, il m’informa que Léon Blum venait de démissionner. C’est Edouard Daladier, du Parti radical, qui lui succédait. Ça n’annonçait rien de bon.
À suivre © Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : Károly Ferenczy Bath in the evening
2 commentaires:
Ce Jules écrit drôlement bien! ça vous met des frissons partout. On imagine l'émoi de Claude en recevant cette lettre.
La sincérité de Jules m'a ému. C'est encore une très belle page. Pas d'accord avec le lecteur qui pense que Claude est furieux, car il a beaucoup plus à se reprocher. Et puis, l'amour les sauvera, non ?
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