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(...) nous aimer jusqu'à la mort... |
Malgré la loi de 1905 qui ratifiait la séparation des Églises et de l’État,
les fêtes religieuses catholiques rythmaient notre vie scolaire. Noël et Pâques
étaient prétextes à des vacances bienvenues. Après les dix jours octroyés pour
la première, je bénéficiais de deux semaines complètes pour la seconde. Je
repris donc le chemin de fer pour Saint-Jean dès le samedi venu. Je m’étais
juré de répondre à ma façon à la dernière lettre de Goupil, sachant qu’Etienne
Jacob se trouvait au village pour la belle saison : il faudrait rafraîchir
la mémoire de mon garçon aimé, reconquérir – si tant est que ce soit nécessaire
–, dans l’antre de notre ami aux cheveux blancs, l’accomplissement, en nos
chairs, des sentiments qui jamais ne s’étaient étiolés. Et ce fut. Mes débordements montpelliérains
avaient été absous, sinon ratifiés, et je ne pouvais réprimander mon amoureux
pour ce moment d’ivresse dont j’étais la cause, pour cet acte incontrôlable commis
à la sauvette derrière un muret complice. Après une brève entrevue à l’arrêt
des cars, permettant de nous fixer rendez-vous, nous nous retrouvâmes dès le
lendemain de mon arrivée dans la
maison d’un « cheveux de neige » ravi de nous accueillir. Tout à
notre bonheur, nous ne fîmes pas allusion à nos échanges épistolaires. Nous
étions l’un en face de l’autre et, plus tard, nous fûmes l’un à l’autre dans un
échange fusionnel que l’attente et le manque poussaient à son paroxysme. La
conversation du goûter avec notre vieux complice fut passionnante. Dans son libelle le plus récent, j’avais noté une amélioration du style, peu de fautes de français ou d'orthographe, comme si Jules s’était
astreint à une rénovation, comme s’il avait trouvé un nouveau souffle, signe qu'il n’avait
en rien renoncé à me rejoindre un jour. Il s’était imprégné d’une part toujours
croissante de la grande culture d’Etienne, lui avait emprunté des livres, avait
suivi les conseils avisés de mon cher M. Benoît, notre maître d’école, qui l’avait
presque remis au niveau que j’avais atteint en entrant au lycée. Le jeune homme neuf que j’avais en face de moi confirmait mon acharnement des jours anciens où je l’exhortais
à l’étude, perdant patience, parfois, et, sans doute, manquant d’objectivité,
car la passion n’est pas toujours de bon conseil et qu’il est difficile de
mêler les genres. Dans la chambrette, après nos embrasements, nous avions
renouvelé notre serment de nous aimer jusqu’à la mort et nous étions pardonné
nos égarements passés et à venir. Nous savions que l’amour ne serait jamais
aussi bien fait qu’entre nous deux, que ça n’appartenait qu’à nous. Les jours
suivants passèrent comme un vol d’hirondelles dans le ciel printanier. Comme
nous passions près de la boulangerie, nous vîmes Andrzej, le petit polonais,
sur le pas de la porte, qu’il franchit précipitamment pour regagner le fournil.
— Tu dois lui filer une de ces
trouilles, s’esclaffa mon Goupil, goguenard !
— J’aimerais bien voir à quoi il ressemble, pourtant, le garçon que tu
as culbuté à la hussarde, commentai-je, vachard.
— Tout le monde n’a pas la joie de se faire emmancher dans des draps de soie
par un giton de la haute ! m’estoqua-t-il.
— Giton ? Où as-tu pris ça ?
— J’ai lu Les onze mille verges, Monsieur !
Jules Goupil n’avait pas fini d’étonner son monde.
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : Photo Birk Thomassen
4 commentaires:
Bel épisode; on trouve "Les onze mille verges" en téléchargement sur le site de la BNF.
Merci Eric D.
Belle livraison, Silvano-Louis ! C'est un vrai bonheur de découvrir chaque lundi où vous nous emmenez. On attend la suite avec impatience.
Je suis addict !
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