Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


dimanche 24 novembre 2019

Alexander Malofeev à Paris : en pleine croissance, et jusqu'où ?

Devant la Salle Gaveau : assurance, humilité, sérénité
J'avais promis un compte-rendu.
Le petit russe de 18 ans a enflammé, mardi dernier, une Salle Gaveau comble qu'il a quittée sous les vivats d'un public qu'il avait généreusement choyé en offrant une belle série de bis(*) ; et tant pis pour les mamies et papys terrifiés à l'idée de rentrer chez eux à pas d'heure qui auront manqué quelques "visions fugitives" de haute-volée, des extraits de "Casse-noisettes" arrangés par Pletnev, un Intermezzo de Brahms pudique et intériorisé et la périlleuse Toccata en ré mineur de Prokofiev en supplément gracieux à un programme que l'on penserait éreintant, si le jeune homme ne s'en jouait avec cette énergie qu'insuffle une véritable passion pour son art.
Démarrer un récital par l'Appassionata, de Beethoven, c'est entrer dans l'arène avec une oeuvre exigeante ô combien, dont le jeune artiste tire le meilleur, avec panache et une concentration de chaque millième de seconde.
On remarque d'entrée les longues mains, la puissance, l'utilisation intelligente des pédales, et on pense à l'illustre ancêtre, oui on pense à Richter !
Après la célèbre Sonate de Beethoven, boum, Malofeev enchaîne avec la 2ème Sonate en si bémol mineur de Rachmaninov, sans concession, cette fois, au battu et rebattu des salles de concert de l'hexagone et d'ailleurs : et c'est tourbillonnant, dantesque comme le sera plus tard dans la soirée la 7ème de Prokofiev, mais aussi chatoyant, car le garçon possède - déjà, a-t-on envie d'écrire ! - une palette de couleurs d'une belle richesse.
Après l’entracte, programme russe avec Tchaïkovski (Dumka et l'Andante Maestoso de Casse-Noisettes pour souffler un peu, peut-être ?), le réputé injouable Islamey de Balakirev, sidérant de justesse, techniquement impressionnant, pour asséner enfin comme une estocade un Prokofiev ravageur.
Le gamin qui jouait à 11 ans le Concerto de Grieg comme un pro poursuit avec bonheur son mûrissement, parcourant (trop, peut-être ?) les salles les plus courues de la planète, élargissant chaque jour son répertoire, jouant et rejouant avec un plaisir qui nous saute aux yeux et aux oreilles.
Quant à son attitude hors-piano, elle surprend de par son humble assurance, une sérénité, l'impression que son esprit, pendant les saluts et l'ovation-debout, voyage déjà sur d'autres pages musicales.
J'aime ces pianistes russes qui, au contraire de leurs confrères asiatiques, pratiquent peu Chopin, préférant prendre de vrais risques sans adopter de ces attitudes affectées (suivez mon regard) qui font de certains des phénomènes de foire médiatique.
Malofeev est phénoménal, mais certes pas exhibitionniste.
Chapeau bas !

(*) Un maigre bouquet de fleurs jaunes offert en fin de concert, quand le jeune pianiste en reçoit par brassées lors de ses concerts au Japon : ça, c'est Paris !




Les photographies proviennent de la page Facebook d'Alexander Malofeev.
Son site (en russe ou en anglais, au choix) est ici : clic

Surpris par un(e) fan, à Brive -la-Gaillarde, dimanche dernier.


Cadeau : Alexander Malofeev à 15 ans dans la fameuse Mephisto Walz N°1 de Franz Liszt.
Une paille !


8 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour votre description, c'était comme si j'étais présente au concert. Qui sait si je pourrai jamais entendre ce jeune Russe dans la belle salle du théâtre Bellini à Catane, peut-être que vous ne le saurez pas, mais notre théâtre risque d'être fermé pour manque d'argent. La programmation 2020 est compromise. La chose la plus étrange en Italie et peut-être en Europe, c'est que les gens croient qu'avec Salvini, nous allons résoudre tous les problèmes. Quelle horreur!
Catane

Silvano a dit…

Non, Catane, je ne savais pas. C'est catastrophique ! J'aime beaucoup votre ville dont ce théâtre est l'un des plus forts symboles.

Ludovic a dit…

Merci Silvano pour ce beau compte-rendu. je suis toujours un peu perplexe devant ces enfants prodiges qui jouent Beethoven en culottes courtes et que l'on nous vend comme un nouveau parfum mais votre jugement musical vaut toutes les cautions. Malheureusement je crains de ne jamais avoir que de la conserve, ce qui n'est déjà pas si mal,car il y a peu de chance que ce jeune astre vienne briller chez nous.Prions et prions pour Catane.
J'ai réservé ma soirée pour le film "Et puis on dansera" qui passe seulement deux jours ici début décembre. Merci encore pour ce tuyau.

Anonyme a dit…

Merci pour ce commentaire très intéressant qui me fait revivre ce concert.
J’ai particulièrement apprécié d’avoir les morceaux joués en bis.
Il me vient l’idée de me créer un fichier Malofeev avec plein de liens internet.
Je pense qu’il y aura votre commentaire sur ce concert.
Pour : - une palette de couleurs d'une belle richesse.
Je vais associer Gaspard de la nuit de Ravel : lien ici
Ou plus court Scarbo de Gaspard de la nuit de Ravel lien ici

Jean-Paul

Silvano a dit…

Ludovic, je partage votre perplexité. Mais il y a des exceptions qui confirment la règle (Kissin parmi d'autres). Pour le film (Et puis "nous danserons", vous ne devriez pas être déçu.

Silvano a dit…

Jean-Paul : merci pour les liens.
Je comprends la perplexité de Ludovic : c'en est presque effrayant.
Mais, comme je l'écris, à 18 ans on peut penser que la maturité est venue. On lui souhaite de garder la tête froide, de savoir délaisser l'instrument de temps à autre et de jouir de la vie.

José Luis a dit…

Espléndida e impresionista crítica, que me llevó a la Sala Gaveau desde el Principado de Asturias, en el norte de España.
Me encanta tu blog: te felicito y me felicito a mí mismo por gozar al leerlo y contemplar fotografías de los bellos muchachos.
Te saludo cordialmente.
José Luis.

Xersex a dit…

Si Александр Дмитриевич Малофеев est un si bon pianiste maintenant, qui sait quand il sera mûri davantage! À 18 ans, on ne peut pas penser d'être mûr: plutôt à 30 ans.