La première bolée de cidre
Et Paul vit qu'il était beau. |
Au
cours de l’une de ses errances entre chien et loup le long du chemin des
contrebandiers, Paul avisa un garçon juché sur un rocher qui fixait obstinément la
ligne d’horizon.
Ce
n’était pas un lieu de drague : les gens « comme ça » se rencontraient
dans le jardin de la gare ou dans un recoin de la courtine où l’on trouvait encore à cette époque, des toilettes publiques.
L’endroit
était sauvage où la mer venait laminer des rochers acérés.
Il
fallait une certaine adresse pour sauter de l’une à l’autre de ces pierres
tranchantes sans se fracasser en contrebas.
L’idée
du drame toujours possible l’oppressait tout en lui étant délicieusement
agréable.
À
cette heure, il était rare qu’on trouve en ce lieu âme qui vive.
Les
deux garçons s’observèrent un long moment avant de s’adresser la parole.
Chacun
voyait l’autre comme un intrus en son territoire.
L’inconnu
fumait ; Paul, banalement, lui demanda une cigarette que l’autre lui
tendit avec mauvaise grâce, pour décréter peu après, d’un rictus, que le nouveau
venu ne « savait pas fumer ».
Le
ton était ironique, sec, à la limite du mépris.
On
en vint à un échange de banalités auquel Paul sut mettre un terme par un
habile « t’es pas d’ici, je t’ai jamais vu en ville ? », déterminé
à instaurer un dialogue moins convenu.
Il
s’appelait Yannick, « Yann », dit-il enfin sur un ton plus
amène ; et oui, il était d’ici mais faisait des études à Nice où il
passait toute la semaine ; il y logeait - il en semblait très fier - dans
une chambre d’étudiant que ses parents louaient à son intention.
Et Paul
vit qu’il était beau.
Et
comprit illico qu’il lui faudrait beaucoup de patience pour le conquérir.
La nuit tombait qui les ramena vers la ville, devisant en chemin comme deux vieux
amis.
Ils
se trouvèrent assez de points communs, de centres d’intérêt, pour envisager de
poursuivre la relation et se donnèrent rendez-vous pour le lendemain dans un
café du port.
Paul
n’allait jamais dans ces rades où l’on ne croisait qu’Anglais ivre-morts ou
vieux loups de mer abrutis d’alcools anisés.
Il
sentit, se rendant au « Calumet », que son cœur battait la chamade
sous la chemise bien repassée, la neuve qu’il mettait pour la première fois.
Il
le vit venir de loin, brun aux yeux clairs à la peau de marin tannée sous les embruns
déjà, vêtu d’un jean noir et d’un tee-shirt blanc qui contrastait heureusement avec ses
cheveux noir d’encre.
Paul
fut à peine surpris de voir que le jeune homme portait une guitare en
bandoulière.
Yann
l’accueillit avec le plus beau sourire de la galaxie.
Il
buvait - c’était insolite ici - une bolée de cidre ; voyant le regard
surpris du nouvel arrivant, il expliqua :
« Je
suis breton, j’aime le cidre, les galettes de blé noir, les filles blondes et
la mer. »
Paul
commanda une bolée pour lui être agréable et trouva le breuvage délicieux.
Son
compagnon lui plut qui s’exaltait, volubile, pour se réfugier par instant dans
un mutisme de nature à désarçonner interlocuteur moins curieux.
Bien
au contraire, Paul mettait à profit ces silences subits pour mieux s’enivrer de
cette beauté qu’aucun artifice ne venait dénaturer ; juste assez longue,
la chevelure était soyeuse, d’une finesse rare ; une mèche en ruisselait
sur l’œil bleu, sur laquelle le garçon soufflait quand elle le gênait trop.
Le
corps était de muscles secs, d’un garçon qui devait nager, courir, que Paul
s’imaginait jouant avec un chien sur une pelouse ; et il s’en trouva
stupide, ne pouvant réprimer un rire libérateur.
« Qu’est-ce
qui te fait marrer ? » dit Yann, que l’éclat avait sorti de ses
pensées.
« Oh
rien, c’est con, je t’imaginais jouant avec un chien dans un jardin, je ne sais
pas pourquoi. »
À son tour, Yann s’esclaffa et, portant deux doigts à la bouche, émit un
sifflement strident.
Aussitôt
apparut, sortant d’on ne sait où, un chien de race indéfinissable, au pelage
noir et blanc assorti à son jeune maître.
«
Je te présente Bill, mon meilleur copain. »
L’animal
se livra à une frénétique démonstration d’affection et, sur un ordre abrupt, se
coucha à leurs pieds, soudain apaisé.
Les
deux nouveaux amis passèrent ensemble de longues heures, se découvrant sans
trop en dire, parcourant la jetée, Yann détaillant chaque bateau, fier de
montrer ses connaissances en la matière.
Il
jouait de la guitare –il « grattait » disait-il humblement, pour
« s’éclater » -, et se dit admiratif quand Paul lui parla de ses études
musicales.
Contrairement
à son habitude, Paul ne révéla pas tout de go sa différence ; il se voulut
allusif pour tester la capacité de tolérance de son nouveau camarade.
Il
fallait que Yann lui donne un signe d’intelligence, ce qui ne tarda pas à se
produire ;
à
Paul qui lui disait qu’il le faisait penser au Delon jeune de « Plein
soleil », le jeune homme répondit :
«
De ta part, j’imagine que c’est un sacré compliment » qui révélait qu’il
avait reçu le personnage cinq sur cinq.
(à suivre)
(c) Louis Arjaillès
Nota : je me suis attelé à une refonte de textes rédigés dans les années dix de ce siècle. J'en livrerai ici quelques extraits que les plus intéressés d'entre mes lecteurs voudront bien commenter.
11 commentaires:
Je suis heureux de vous voir reprendre la plume.
J'ajoute ma voix à celle d'Antoine et souhaite ardemment que ces textes prennent le chemin de l'édition.
J'aime beaucoup ce texte. J'ai souri en lisant la référence aux "Chansons d'amour" de Christophe Honoré (je suis breton...).
Je vais me procurer votre roman.
Fabien : bravo pour avoir décelé l'allusion !
Merci Silvano, on a bien fait d'être patient... Alors, comme avant tous les lundis ???
Le titre m'évoque un joli coin de France que les Belges apprécient beaucoup avec les falaises vertigineuses, et le vert des campagnes si proche des plages; puis on ressent déjà la délicatesse avec laquelle vous allez disséquer les sentiments ...
Demian : ce sera moins régulier, je pense.
J'attends la suite avec impatience...
Mardi prochain ;)
Est-ce à dire que vous allez publier une version différente du livre écrit il y a quelques années ?
berlingo : je m'essaie à une refonte de textes publiés ici mais jamais "publiés". Rien de définitif toutefois.
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