Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 1 août 2022

Mon amant de Saint-Jean | Chapitre II - Épisode 21 : La rentrée des classes

 J’en veux une de toi tout nu ! 
Résumé
Jusqu'ici, nous avons voyagé de Saint-Jean, village de l'Aveyron, où le tout jeune Claude, le narrateur, vit une passion dangereuse avec Jules Goupil, son ami d'enfance, heureusement protégée par un universitaire retraité, Etienne Jacob, chez lequel ils peuvent abriter leur amour. Claude a quitté la bourgade pour Montpellier où, accueilli par son grand-oncle, il va étudier au lycée de garçons de la grande ville. Entretemps, nous nous sommes transportés à Neuf-Brisach, Alsace, où Roland, un adolescent du même âge, ne vit pas avec le même bonheur son identité. À Montpellier, Claude bénéficie de la protection de deux jeunes hommes qui ont une relation amoureuse qu'ils s'efforcent de vivre le plus discrètement possible tout en fréquentant les lieux clandestins où se rencontrent les hommes à hommes.  

   « Tu seras un khâgneux, mon neveu ! » avait décrété mon grand-oncle qui usa de son influence pour me permettre d’entrer en première supérieure au lycée de garçons, lequel fut créé sous le premier empire et porta, le temps d’un régime, le nom de Lycée Impérial. Il m’est permis d’imaginer une entrevue entre mon parent et Victor Louvet, le proviseur, pour laquelle Octave se serait muni des rédactions que ma mère lui avait envoyées et de mes excellents bulletins de notes assortis de commentaires flatteurs de ce bon Monsieur Benoît. Mes études à l’école communale de Saint-Jean ne justifiaient pas à mes yeux pareille faveur, qui faisait dire à Marcel Fabre, non sans malignité, que j’étais un « fort joli pistonné ». Toujours est-il que j’entrai au lycée le 2 octobre 1937, deux jours avant de fêter mon seizième anniversaire. Dès la première récréation, dans la cour du bel édifice haussmannien, je fus soumis à un feu roulant de questions par mes nouveaux camarades, issus pour la plupart de la grande bourgeoisie locale. Mon accent qui charriait des rocailles cévenoles me catalogua d’emblée parmi les « bouseux », d’autant plus que je n’avais pas jugé bon de cacher la condition paternelle. Par chance, nulle attitude, aucune de ces manières qui font repérer nombre de mes semblables, rien ne trahissait ce qui faisait ma particularité. À tel point que l’un de mes inquisiteurs me demanda si j’avais une « bonne amie ». J’allais découvrir plus tard que la question de ce garçon n’était pas anodine. Je ne m’inventai pas de fréquentations féminines et restai évasif : « Je viens d’arriver, j’ai tout le temps. » L’obligation de porter une blouse était à mon avantage, car mes camarades étaient presque tous vêtus à la dernière mode, où régnaient pantalons de golfs et casquettes plates que l’on portait inclinées sur le côté. Des poseurs. À l’issue de ma première journée, Fabre m’attendait à la sortie, tout investi dans son rôle de protecteur. J'étais dans un état proche de l'ivresse, heureux de pouvoir enfin étancher ma soif de savoir. Je fus intarissable. Marcel se fit un devoir de me prévenir des embûches qui jalonneraient mon parcours. Il y a, me dit-il, des loups prêts à ne faire qu'une bouchée d'un souriceau de ton espèce, la gueule grand ouverte. J'avais, fort heureusement, un ange gardien.   

Ma lettre à Jules, écrite le dimanche suivant :

Jules, mon ami, mon Julot que j'aime tant,
tu ne me manques pas, tu ne me manques pas, tu ne me manques pas.
Il faudrait que je m'en persuade pour apprécier pleinement, jour après jour, les bons moments, les rencontres, 
les joies que je partage avec ma cousine et mes deux amis, l’accueil cordial dans la maison du grand-oncle, la rentrée au lycée. Ma première phrase suffirait. Je préfère anticiper la fin de l’année où j’aurai tellement à te raconter. Je ne veux pas, non plus, accroitre ta peine par la relation de ce qui fait mon ordinaire. Qui te paraîtrait extraordinaire au regard de la vie à Saint-Jean. Mais l’extraordinaire, nous l’avons vécu cet été, et le vivrons encore, tu peux compter là-dessus. Nous sommes assurés tous deux que cette séparation est provisoire, que notre amitié – appelons-la comme ça ? – n’en est qu’à son début, même si nous savons, toi et moi, qu’elle est de toujours. Tu dois penser que mon chemin est jalonné de tentations. Je ne te le cacherai pas : c’est vrai. L’abstinence, à laquelle tu faisais allusion dans ton premier courrier, pourrait être pesante s’il n’y avait la certitude que rien ne peut surpasser notre amour quand nous le faisions, quand nous avons découvert les incroyables félicités qu'il prodigue, cette incroyable explosion de plaisir qui nous isole du monde extérieur. Et aussi, cette sensation d’apaisement quand nous avons joui et que je pose ma tête sur le coussin de ton ventre. Il me faut calmer cette exaltation qui me saisit à l’évocation de nos délices et te parler plutôt d’autre chose. Je vais devenir aussi rouge que mon paternel ou que mon oncle Louis, dont on me dit ici qu’il serait un grand homme dont je peux être fier. II y a la "jeunesses communiste". Je vais me renseigner auprès d’André, qui a la carte du Parti, m’informer sur la manière d’apporter ma pierre à l’édification d’un monde meilleur, car l’avenir s’annonce bien sombre si j'en juge par les régimes qui sévissent en Allemagne et en Italie. Au lycée, je suis entouré de fils de riches qui me regardent de haut. Ça ne fait que renforcer mon intention. Je vais te rendre jaloux, mais il y a tout de même Émile, un beau gars qui pose trop de questions. Je l’ai vu, lisant, à l’écart, dans la cour, Les faux monnayeurs, un livre très troublant que « cheveux de neige » m’avait prêté. C’est un indice de nature à m’intriguer. Ne t’inquiète pas pour autant, je t’appartiens. Je ne t’en dis pas plus pour aujourd’hui. Sache que je compte les jours qui nous séparent de Noël et de nos retrouvailles. Je te couvre de baisers.
Claude
PS/ Vu que ma lettre arrive chez ce bon vieux monsieur Jacob, je te le dis : je me b… plus que de raison en prononçant mille fois ton nom. Et toi ? Attention, l’onanisme est un péché mortel, mon frère ! De toute façon, nous sommes attendus par Belzébuth. Quand je viendrai à Saint-Jean, je demanderai à ce bon vieil Etienne de faire des photographies. J’en veux une de toi tout nu !
 
(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022

Illustrations
1 Photo X
2 Les faux monnayeurs, édition originale de 1925

9 commentaires:

Pivoine a dit…

Il était au programme de notre cours de littérature... ce roman. Quel souvenir! "Et l'oncle Édouard?" ai-je demandé à notre professeur, qui faisait le catalogue des personnages... Elle est devenue couleur tomate et a répondu à côté de la plaque... du coup, j'ai acheté le livre et l'ai lu pour me faire une idée. Même pas en cachette (contrairement à d'autres)
La rentrée! C'est passionnant une rentrée... :-) merci :-) moment initiatique...

Anonyme a dit…

Si je peux me permettre une remarque Silvano. Vous aviez sans doute de bonnes raisons de changer les prénoms de vos personnages, mais j'aimais bien Jean, Jeannot, qui dégageait une familiarité bon enfant. Maintenant Claude doit dire mon Jules, mon Julot, qui donne à Jean une connotation de souteneur.
La suite des événements vous donnera certainement raison, je sais attendre
Vous savez toujours nous surprendre, merci.

Demian

Silvano a dit…

Pivoine : contrairement à ce que j'écrivais jeudi dernier, et sous d'amicales pressions, nous allons suivre Claude dans son parcours initiatique lycéen.
Demian : "une connotation de souteneur", comme vous y allez ! Ce sont des anciennes lectures ou des films qui vous le donnent à penser. Je vais réhabiliter tous les bons Julot et faire de ce surnom un parangon de bonté.
:)

Antoine D. a dit…

J'ai connu un souteneur du nom de Jeannot :)
La lettre de Claude est très belle et l'évocation des "Faux monnayeurs" éveille de beaux souvenirs littéraires de jeunesse. Belles vacances, Silvano !

Anonyme a dit…

Photos tout nu : nous avons oublié qu'avant les appareils numériques, il fallait porter la bobine de négatifs chez le photographe qui les envoyait au laboratoire et avait tout loisir de les regarder avant de nous rendre les tirages papier. Claude est certainement bien conscient qu'à moins que la vieil ami ait son propre labo photo, avoir une photo du beau Jules tout nu (même de dos) était plus un rêve qu'un projet réalisable.

Ludovic a dit…

Photos tout nu

Silvano a dit…

Ludovic : Le vieil ami est un pervers qui attire les garçons du village avec des roudoudous (aujourd'hui, ce serait du cannabis), les déshabille et les prend en photos qu'il développe lui-même avec le matériel ad hoc.
Merci pour l'idée !

Anonyme a dit…

Anonyme; à l'époque on utilisait des chambres, et c'est très facile en 5 mn de faire une prise de vue sur papier et ensuite un contretype. Pas besoin de labo le récipients peuvent être placés dans la chambre.

Demian

Pivoine a dit…

Il pourrait avoir des dons d'artiste aussi et faire des croquis d'après modèle vivant. Ça passe mieux que la photo... (mes personnages à moi sont souvent des artistes ;-) du papier et un crayon suffisent :-) (OK, je sors).