Au cours de l'été 1938, Claude Bertrand, le narrateur, 16 ans, a séjourné à Palavas-les-Flots en compagnie d'André et de Marcel, qu'il a surnommé "Les Nathanaël", deux amants qui habitent à Montpellier, où le jeune homme poursuit ses études. Il passe le reste des grandes vacances à Saint-Jean, où l'attendait Jules, le "garçon de sa vie".
« J’aime ton corps de haut en bas, tu sais ?
— Ma peau est aussi douce que celle d’Émile ?
— Pas vraiment, non. Mais elle a meilleur goût, avais-je dit en étayant mon
propos d’un coup de langue dans le creux de ses reins. Je suis gourmand de toi.
Rien ne remplace ta saveur, pas même celle du gâteau de famille de ma mère, je
te jure ! Ta crème est meilleure, aussi.
— Tu m’as dit malgré tout qu’il avait un cul à damner un saint.
— Tes fesses sont plus rondes, plus massives, plus fermes, elles me rassurent,
oui, elles me rassurent, c’est ça.
— J’ai des fesses rassurantes, s’esclaffa-t-il, c’est la meilleure ! Et sa
queue, elle est comment sa queue ?
— Plus longue, moins épaisse que la tienne. Ma main en fait plus facilement le
tour. Mais elle est jolie, quand même.
— Ce que tu dis de lui me fait penser à Andrzej. Mais moi, je ne l’ai jamais vu
tout nu. Je baisse son pantalon de travail, je trifouille un peu pour voir s’il
bande et on fait ça en dix minutes, comme des bêtes. Je crache sur ma bite, et
hop ! Alors, la saveur de sa peau et sa douceur, tu vois… Ce n’est pas de
l’amour. Ce serait comme comparer la chicorée au café. Toi, tu fais l’amour à
ton lycéen, et dans ces moments-là, j’existe plus.
— Ne sois pas triste, tu existes plus que tout, et tu le sais
bien. »
C'est ainsi que nous devisions en ces débuts de soirées d’été
quand Jules m’avait rejoint, fuyant prestement les odeurs de cette encre
violette dont le savon de Marseille et la brosse de crin ne parvenaient à
effacer totalement la trace sur ses doigts raidis d’avoir soustrait, additionné
ou divisé toute la journée. Monsieur Majurel doit cent francs ; il faut faire
la facture pour les bancs de la salle des fêtes ; compter, enfin, ce qu’on
avait gagné cette semaine et affronter la mauvaise humeur du paternel si les
chiffres faisaient la gueule.
Il quittait à six heures pile l’obscure officine où on
l’avait confiné pour le punir de sa vivacité, de son insolence, de sa
propension à la rêverie. En quelques tours de roues, il savait pouvoir me retrouver près de
notre étang exsangue en ce mois d’août implacable, où nous guettait un
bataillon de moustiques, étrangement mis au fait que nous allions nous
débarrasser frénétiquement de tous nos vêtements pour nos enlacements. Nous
nous en amusions, tant notre soif de l’autre nous rendait invincibles, comme
préservés de la voracité des insectes femelles par une impalpable forteresse.
Peut-être, plaisantions-nous, qu’elles se passaient le mot : « Ah
non, pas eux, on a déjà goûté ! »
Mon infinie tendresse faisait de son mieux
pour le ramener à la lumière, pour le bercer de murmures propres à lui faire
oublier le tintamarre quotidien des marteaux et des scies, les vociférations de
Goupil à l’encontre de l’apprenti malhabile qui encaissait les coups-de-pied au
cul dont on le préservait par miracle, dès lors qu’il avait fait preuve d’une
réelle aptitude dans le maniement de ces chiffres qu’il exécrait.
Parfois, quand il était trop fatigué, nous nous
caressions du bout des doigts – « Oh oui, j’adore, ça fait froid,
soupirait-il ! » – et laissions nos mains nous amener au plaisir sans autres ébats.
Seuls au monde, nous évitions les conversations qui auraient eu l’indécence
d’altérer notre bonheur. Il serait bien temps, lors de mon retour en ville,
d’affronter la réalité d’une humanité au bord du gouffre.
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Photo : Yannick Abrath et Andrew Westermann photographiés par Pierre Debusschere
7 commentaires:
Eh bien voilà une franche et chaude conversation entre nos amoureux qui nous remet d'emblée dans leur intimité et dans la bonne atmosphère de notre feuilleton favori. Merci Silvano. Même si ce n'est pas tous les lundis, c'est toujours aussi savoureux.
Merci de ce petit bout de tendresse.
JackyM.
On est tout de suite mis dans le bain . Comme dans Athalie de Racine .
Oui, je viens , cher Silvano , dans votre blogue .
Je viens, selon l’usage , du feuilleton voir l'épilogue ,
Célébrer avec vous la fameuse journée
Où , pour la première fois le feuilleton nous a été donné.
Que les temps sont peu changés ! Sitôt que de ce jour
La trompette sacrée annonçait le retour,
Les internautes en foule attendait le retour
De ce jour tant espéré et remis toujours .
uvdp : c'est un peu court.
jackyM et Ludovic : merci !
merci, Silvano! bon retour, les amants!
Je tremble que Silvano , à ne vous rien cacher,
Ne censure , par respect , de son grand oncle l'ouvrage .
Amis blogueurs , encouragez Silvano sans bafouillage ,
De poursuivre sans découpage , ce feuilleton auquel nous sommes tous attachés .
Merci pour ce retour tant attendu.
Demian
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