Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 25 mai 2020

L'assassin assassiné

En 1980, lorsque le débat sur la peine de mort défrayait la chronique, quand l'opinion publique approuvait à une large majorité l'application de la peine capitale, Jean-Loup Dabadie, qui vient de mourir, écrivit ce texte bouleversant que mit en musique Julien Clerc :



C’était un jour à la maison
Je voulais faire une chanson
D'amour peut-être
À côté de la fenêtre
Quelqu'un que j’aime et qui m’aimait
Lisait un livre de Giono
Et moi penché sur mon piano
Comme sur un établi magique
J’essayais d’ajuster les mots
À ma musique.
Le matin même, à la Santé
Un homme, un homme avait été
Exécuté
Et nous étions si tranquilles
Là, au cœur battant de la ville
C’était une fin d’après-midi
À l’heure où les ombres fidèles
Sortant peu à peu de chez elles
Composent doucement la nuit
Comme aujourd’hui.
Ils sont venus à pas de loup
Ils lui ont dit d’un ton doux
C’est le jour, c’est l’heure
Ils les a regardés sans couleur
Il était à moitié nu
Voulez-vous écrire une lettre
Il a dit oui, il n’a pas pu
Il a pris une cigarette
Sur mon travail tombait le soir
Mais les mots restaient dans le noir
Qu’on me pardonne
Mais on ne peut certains jours
Écrire des chansons d’amour
Alors j’ai fermé mon piano
Paroles et musique de personne
Et j’ai pensé à ce salaud
Au sang lavé sur le pavé
Par ses bourreaux
Je ne suis président de rien
Moi je ne suis qu’un musicien
Je le sais bien.
Et je ne prends pas de pose
Pour dire seulement cette chose
Messieurs les assassins commencent
Oui, mais la Société recommence
Le sang d’un condamné à mort
C’est du sang d’homme, c’en est encore
C’en est encore.
Chacun son tour, ça n’est pas drôle
On lui donne deux trois paroles
Et un peu, d’alcool
On lui parle, on l’attache, on le cache
Dans la cour un grand dais noir
Protège sa mort des regards
Et puis ensuite, ça va très vite
Le temps que l’on vous décapite
Si je demande qu’on me permette
À la place d’une chanson
D'amour peut-être
De vous chanter un silence
C’est que ce souvenir me hante
Lorsque le couteau est tombé
Le crime a changé de côté
Ci-gît ce soir dans ma mémoire
Un assassin assassiné
Assassiné.

5 commentaires:

Ludovic a dit…

Quel talent, quelle humanité et quelle modestie pour un artiste et un homme de cette si rare qualité! Je ne sais pas s'il restera immortel mais il méritait mille fois de l'être. Une autre fleur de notre jardin nostalgique qui disparait.

Eric D a dit…

Un texte sublime, magnifiquement interprété. Merci Silvano

Jean a dit…

Merci pour ce beau rappel
Il existe une très belle interprétation avec Julien Clerc au piano et
Dabadie en auditeur bouleversé;
On notera le papier, vipéren - in cauda - du Monde, immonde
Merci encore

Silvano a dit…

La version à laquelle vous vous référez, Jean, est sans doute celle qui fut interprétée dans une émission de Bernard Pivot. Je l'ai vue et entendue dans le beau document consacré au chanteur récemment.

Tambour Major a dit…

Merci pour le partage de ce texte bouleversant qui m'était inconnu.