Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


mardi 17 novembre 2020

Le chemin des contrebandiers 2020 (extrait 4) : Le poisson-volant

J'aimerais ne pas l'aimer.

« C’était vachement bien ce truc ! » Ce sont les premiers mots du Breton au réveil. La lumière de ce printemps béni s’immisce par les jalousies des volets. Juste assez, par discrétion, pour ne pas trahir le secret de nos amours interdites.
Je balaie du regard pour m’en repaitre ce corps de tout son long étalé, nu, le cuivre de la peau glorifié par l’écru du drap de lin que les désordres de notre nuit ont malmené.
On a recommencé le « truc » autour de midi. On a pris une douche ensemble, après. On est partis pour la plage à deux sur mon "Ciao"*, et il me serrait la taille deux fois plus fort que d'habitude, comme en signe de gratitude. On n'est pas allés aux Grandes Rives, pour éviter Josépha et les autres. « Tu nages toujours aussi mal ! » raille-t-il. J’ai admiré son crawl, souple, délié, conquérant. C’est un poisson-volant. J’aimerais ne pas l’aimer. Un pressentiment m’alerte, que je souhaiterais ignorer. Lui ne semble pas se poser de questions ; jamais je ne l'avais vu si rayonnant.
On attend que le soir tombe et que la plage soit déserte pour de furtives effusions.
« Juste une chose : on se roulera pas de pelles, ok ? ».
On a croisé sur la courtine un gars qui nous a décoché un regard chargé de toutes les haines.
« Ça, c’est le genre de mec qui veut te casser la gueule le lundi et vient se faire sucer le mardi, non ? »
J’esquisse un sourire entendu.
Yann est désarmant de sagacité : le "mec", c’est Luigi, un Calabrais ; qui est déjà venu trouver chez moi ce que ne veulent offrir les minettes.
Un jour pendant qu’il rajustait son jean, j’ai vu dans son sac semi-ouvert l’attirail du parfait cambrioleur.
Excitante frayeur s'il en est, mais j'ai jugé préférable, depuis lors, de l'éviter.
« Faut dire que t’es un expert. Josépha en sait quelque chose ! »
« Celle qui a droit aux pelles ?! »

À suivre (sans doute)

© Louis Arjaillès pour Gay Cultes, novembre 2020

* Cyclomoteur du même constructeur (Piaggio) que la célèbre "Vespa."
La production du Ciao a cessé à l'aube de ce siècle.
Dans les années 70/80, tous les jeunes gens de 14 ans et plus se devaient d'en posséder un.

3 commentaires:

Hadrien a dit…

Bravo Silvano

Pippo a dit…

Merci, cher Silvano, de ce moment de bonheur.

Henri a dit…

C'est la première fois que j'ajoute un commentaire. Je le fais pour vous dire: magnifique, élegance, tendresse...
Merci beaucoup. Henri.