Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


samedi 3 décembre 2022

Le Lycéen : d'amour et de mort

 

Paul Kircher, Vincent Lacoste et Erwan Kepoa Falé

Il y a des émotions qu'il est malaisé de chroniquer. Il n'y a rien de tel qu'une salle obscure pour les partager : que se passe-t-il dans la tête et, ici, dans le cœur, de nos voisins d'accoudoirs ? Il y a, cette après-midi-là, en ce mercredi où les auteurs, producteurs et distributeurs tremblent de connaître les fameux premiers chiffres, un public clairsemé que je m'amuse, avant la projection, à estimer : trio de jeunes avec femme, gays retraités(17 heures en semaine, normal), deux "profs" (je suppute), dames seules... Les pubs, les bandes-annonce, le noir total, ce moment où, quand j'étais enfant, fusaient des "aaaaaaaah" (le grand film, enfin !) et là, d'emblée, la grâce : encore un cadeau de Christophe Honoré. Vous aurez déjà lu, sans aucun doute, le synopsis. Le miracle tient au fait que ces lignes censées faire le "pitch" (est-ce dérivé de pichenette ?, c'est bref et peu apte, souvent, à nous allécher.) ne gâchent pas la découverte, car miracle il y a : montage nerveux sans jamais donner le tournis, comme trop souvent ces temps-ci, mise en scène inspirée de cette histoire dont on sait qu'elle relève d'une auto-fiction transposée des drames vécus à l'adolescence par le réalisateur. Miracle, aussi et surtout, de la révélation d'un talent exceptionnel, celui du jeune Paul Kircher, présent à l'écran, qu'il crève quasiment, à chaque plan. Ne sont pas n'importe qui ceux qui l'accompagnent tout au long de ce voyage émotionnel : Juliette Binoche (est-il nécessaire de dire qu'elle est une grande actrice ?) ce cher Vincent Lacoste, égal à lui-même, c'est-à-dire excellent, et l'autre révélation (en tout cas, me concernant) du film, Erwan Kepoa Falé qui joue Lilio, personnage-clé, déterminant, inattendu. La bande-son (Orchestral Manoeuvres In The Dark, Robert Palmer, Andrea Laszlo de Simone (cette chanson !) et... Sylvie Vartan entre autres) et la musique originale de Yoshihiro Hann, déchirante, "ambiancent" le tout en parfaite adéquation avec l'image du directeur de la photographie, Rémy Chevrin. L'ineffable Allo Ciné fait précéder la page dédiée de cet avertissement :  "des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs." À l'heure d'Elite, dont, au passage, la saison 6 est plus que dispensable, deux scènes de sexe entre garçons ne me semblent pas de nature à effaroucher le quidam, hormis les homophobes invétérés, lesquels ne risquent pas d'être attirés par un cinéma intelligent. Quant à ma sensibilité, j'aimerais qu'elle soit "heurtée" plus souvent par des films de cette qualité.

Paul Kircher (Lucas) et Vincent Lacoste (Quentin)

Lilio, personnage essentiel, et Lucas
Nota
1- On lira avec intérêt l'excellent article consacré à Paul Kircher, suivi, un peu plus loin, par la critique élogieuse du film, dans le numéro de Télérama de cette semaine, qui consacre, également, de belles pages au cinéma français, dont, n'en déplaise à ceux qui ne vont jamais voir de films tournés dans l'hexagone, est toujours l'un des meilleurs.
2 - Un autre point de vue, proche, toutefois, par Gaël Morel :
"Ça aurait pu s’appeler « Apprendre à plaire, à aimer, et à courir vite » tellement « Le lycéen » de Christophe Honoré porte haut le récit d’apprentissage ; un genre en soi…
La grâce du jeune Paul Kircher, petit frère du Arthur de « Plaire, aimer… » nous donne vraiment l’illusion qu’il fait tout pour la première fois devant la caméra, même retirer ou mettre son pull.
Il est un soleil dans le spleen de ce film hivernal.
Parce que c’est un film où il fait noir, où il gèle, où les nuits sont trempées ou enneigées.
Froid comme la mort.
Mais le regard de Christophe Honoré allège ses personnages, les sauve de la tragédie par sa générosité, ses attentions et ses trouvailles toujours réjouissantes comme celle de faire se répondre Sylvie Vartan et OMD dans la B.O.
Sur un sujet tristement banal, la perte du père Christophe Honoré nous fait voyager en adolescence. Et pas n’importe laquelle ; Une adolescence homosexuelle où le sexe sert parfois d’issue au chagrin.
Les effronteries de Lucas en font un cousin contemporain et gay du Holden Caulfield de Salinger.
Et c’est une des multiples raisons qui rendent les deux heures passées avec ce lycéen aussi précieuses".

8 commentaires:

Marc a dit…

Tout ce que vous dites Silvano est bien là sur l'écran: miracle, grâce, révélation...

uvdp a dit…

Pitch
- dictionnaire de l Académie Française
Ce terme anglais trop répandu ne doit pas être employé. Dans le domaine du cinéma et du spectacle, on peut utiliser Idée, Résumé, Argument, Canevas. Si l’on parle des techniques de la communication, les mots Présentation, Argumentaire et Démonstration sont des équivalents compris de tous.
- Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/expressions-francaises/2017/12/11/37003-20171211ARTFIG00041-mais-d-o-vient-le-pitch.php

Anonyme a dit…


Belle critique d'un bien beau film gwenael

Ugo a dit…

Telle mère tel fils. Paul Kircher est le fils de l'actrice Irène Jacob, Cesar de la meilleure actrice pour le film "la double vie de Véronique"

Silvano a dit…

uvdp : j'emploie généralement "argument". C'est une pirouette pour dénoncer l'emploi de ce terme.

Silvano a dit…

Ugo : et son père, le non moins excellent Jérôme Kircher. Paul est ce que l'on appelle un "enfant de la balle". Bon sang ne saurait mentir.

wilrob a dit…

Ne serait-ce pas le plus beau film de Christophe Honoré ? Tout au moins le plus tendre. La tendresse d'un jeune homme qui redonne le goût de vivre à sa mère; pour son frère au-delà la violence de leurs rapports et pour Lilio qui le ramène parmi les vivants et les chantants. Même son plan cul parisien est empreint de tendresse.
Ca fait un bien fou, non ?

Pivoine a dit…

J'ai reconnu chaque étape d'un deuil vraiment vraiment difficile... la première fois, pour cet adolescent. La sidération, agir comme un automate, (la crise de nerfs... dur dur...) la colère, le vide, bref. Eros/thanatos. Le passage par la psychiatrie est justement filmé. (On n'est pas dans Vol au dessus d'un nid de coucou... la psychiatrie peut être un refuge... une pause dans le processus du deuil...) et la dédicace finale du film est très émouvante. Il est très très bien ce jeune acteur. Parce que jouer, c'est aussi très difficile...
La salle où on le projette à Bruxelles est petite mais était bien remplie, et d'un public varié...