Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


samedi 24 août 2024

L'harmonium (Texte de 2015)

 

C'est à la boulangerie, où l'on m'avait envoyé chercher un "restaurant"(1), que j'ai vu Rémi pour la première fois.
On n'était pas dimanche, mais il a acheté quatre croissants, ce qui m'impressionna fort, et je me dis que c'était un "riche", de ceux que, chez nous, on appelait "gros richards".
Peu de temps après, je sus que je l'impressionnais tout autant, et qu'au bourg, nous inspirions le respect : nous étions la famille du garde-mobile.
J'avais obtenu l'autorisation d'aller, quand je le voulais, jouer de l'harmonium dans la petite église où je répétais inlassablement la même Invention de Bach, la seule pièce de mon répertoire qui sonnât agréablement sur cet instrument.
Le dimanche, en contrepartie, je participais à la messe et accompagnais les cantiques. Je m'amusais intérieurement, sans plus de respect pour le caractère sacré de la cérémonie, des voix aigrelettes et chevrotantes des vieilles qui tentaient de faire parvenir jusqu'au ciel leurs naïves incantations : "Tu es mon berger, ô Seigneur", "Chez nous, soyez reine", ou "Terre entière, chante ta joie au Seigneur".
Un harmonium
Le soir, "à la fraîche" devant la maison, quand, armés d'un gros caillou, on ouvrait la coque des amandes sur la table de pierre, je les imitais, provoquant les rires de la grand-mère qui, elle, avait gardé une voix de jouvencelle sans aspérités qui résonnait dans la maison dès le petit matin, quand elle brossait sa longue chevelure grise, reprenant les bluettes à succès de la radio.
Un jour que, dans l'église habituellement déserte à cette heure, je labourais le clavier de mes doigts frustrés de n'avoir pas à parcourir un vrai piano, j'eus conscience subitement que je n'étais pas seul. Je me retournai et vis Rémi remonter l'allée jusqu'à l'autel sans s'être signé, sans la génuflexion de rigueur en ces endroits.
Sa voix puissante, un peu rauque, de presque adolescent, résonna sans la précaution d'usage en pareil lieu :
- Hé, tu sais jouer du Cloclo ?
(1) Un gros pain, utilisé autrefois dans les restaurants.
(c) Louis Arjaillès - Gay Cultes 2015

Bonus : 
 


J'aime particulièrement cette version de la Petite Messe solennelle de Gioachino Rossini, au plus près de l'original, le terme "petite" n'ayant pas été choisi au hasard par le compositeur selon moi.
On est très éloigné de la majestueuse (pompeuse ?) version de Chailly que vous trouverez aisément si le cœur vous en dit.
Et puis, selon la partition originale, on entend ici… un harmonium.




Référence : 
Petite Messe solennelle de G. Rossini
RIAS-Kammerchor
Marcus Creed, direction.
Harmonia Mundi
901724

3 commentaires:

uvdp a dit…

On peut connaitre la suite ? Merci .

Silvano a dit…

Non, uvdp, c'est ma vie privée.

joseph a dit…

c'est aussi sur l'harmonium de l'école primaire que j'ai tâté de la composition sur des textes personnels; merci pour ce récit de votre plume