(...) tu me montreras ça à Pâques, dis ? |
J’échangeais avec Jules une correspondance
suivie : nous n’y faillîmes jamais. Malgré les sollicitations, malgré l’éloignement,
malgré les préoccupations de ma vie citadine, malgré l’emprise qu’exerçaient
sur moi les diaboliques attraits dont Émile savait si bien tirer parti, je me
faisais devoir de rapporter à mon villageois tant aimé les moindres détails du
quotidien. Dans l’une de ses lettres, il avait écrit, en effet : « Dis-moi
tout, ne me cache rien, même ce qui te fait jouir. » Et, sachant
dorénavant, qu’au lieu de me valoir un blâme, le récit de mes délicieuses
turpitudes lui procurait un intense plaisir, je ne lui cachais plus rien de mes
enlacements lubriques, de nos jeux sans cesse renouvelés, aiguillonnés par le
désir de découvrir toujours davantage les ressources de nos corps, insatiable
curiosité de l’autre, inextinguible besoin de se surpasser. Parfois, il
répondait : « C’est complètement fou, ce que vous avez fait, tu me
montreras ça à Pâques, dis ? » Et nous vivions à distance le plus insensé,
le plus irraisonné, le plus saugrenu des trios amoureux !
Ses nouvelles du village, fatalement moins nourries, se limitaient à des potins
qui n’allaient pas enrayer le cours de l’histoire du monde. De temps à autre,
un événement imprimait quelques remous à la surface de l’eau croupie des
journées ordinaires. Ainsi de cette histoire effroyable qui vint ébranler la
quiétude du bourg aux premiers rayons du printemps. Je la retranscris telle que
me l’écrivit Jules dans un courrier de mars 38 :
Alors, toi qui penses qu’il ne se passe
jamais rien par chez nous, figure-toi que nous venons d’avoir un drame
terrible, incroyable à tout le moins. Rien qu’y penser me file la chair de
poule. Tu dois te rappeler le père Galipet, le garde-champêtre : un brave
type, veuf, sans gosses, qu’on croisait jour après jour sans même le remarquer,
faisant son travail avec méthode, toujours de bonne humeur – enfin, c’est ce qu’on
croyait ! –, pas très courageux, fuyant les petits voyous au lieu de les
serrer, un gars dont les annonces, d’une voix qui portait bien, nous
rappelaient tout simplement qu’il existait. J’avais oublié, mais il est vrai
que quand nous étions gamins, nous l’avions surnommé – va savoir pourquoi !
– « Galipettes », et on ne se privait pas de le lui chanter. J’ai
réfléchi que, pendant toute sa vie, le père Galipet avait dû subir les
moqueries de plusieurs générations de minots collés à ses basques en hurlant « Galipettes »
sur l’air des lampions. On peut penser qu’à force, le brave homme était devenu
sourd à ces railleries, qu’il s’en cognait, quoi. Mais voilà, et je te prie de
croire que si certains en rigolent encore aujourd’hui, ce n’est pas mon cas, le
sort s’est acharné sur le bonhomme. À la salle communale, ils ont passé un film
de Fernandel intitulé Ignace. Fernandel joue si bien les andouilles que c’était
à mourir de rire. Le seul qui est resté de marbre, c’est le père Galipet. L’homme
n’a pas pris son travail, lundi. Les hommes l’ont cherché partout jusqu’à sa
réapparition, le mardi, dans son uniforme, gesticulant, hurlant sans cesse « Le
premier qui... le premier qui… » en agitant un fusil imaginaire. Bref, il
est devenu tellement fou qu’on a dû appeler les gendarmes. Ils l’ont emmené
Dieu sait où. Voilà. Ah oui, défense de rire : le prénom de Galipet, c’est
Ignace ! Tout est vrai, je te le jure. Je t’embrasse partout, mon salaud d’amour.
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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1 commentaire:
Vous allez mieux, apparemment ! Bel épisode "pagnolesque". Toujours surprenant, le Silvano-Louis !
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