Les tournées sont éreintantes même quand on a 21 ans. Ainsi, notre aimable Alexander Malofeev enchaîne-t-il les récitals ; peut-être un peu trop. La veille, il était à Amsterdam, et lundi dernier, à Paris, dans une salle Gaveau pas vraiment bondée : le lundi soir n'est pas l'idéal pour un pianiste qui a la faveur d'un jeune public qui "a école (ou collège, ou lycée) " le lendemain, et pas question pour les parents de déroger. J'avais fait circuler l'information et c'est ce que l'on m'avait rétorqué. De plus, maintenant, à Paris, c'est la Philharmonie qui attire les foules. Depuis que la Salle Pleyel n'accueille plus de "classique", subsiste cette salle Gaveau où l'on constate, oui, qu'il n'y a pas d'eau dans le lavabo des toilettes, ni de savon, qu'une ampoule sur deux a rendu l'âme : normal, c'est pour les prolos du deuxième balcon, on verra plus tard. Bref, on n'est pas dans les meilleures dispositions pour applaudir notre petit pianiste. C'est une production extérieure à la salle, dont les responsables doivent encore se demander s'il était judicieux de louer ce lieu où l'on ne maîtrise pas, semble-t-il, allumage et extinction des lumières de salle. En résumé, on met sur scène, dans des conditions aléatoires, ce phénomène que l'on accueille actuellement partout avec des fleurs. À Paris, capitale de la France, pour les fleurs, tintin ! Nous prenons l'ascenseur avec de très vieilles personnes dont on se dit, sans méchanceté aucune, qu'elles seraient mieux au chaud, à la maison, avec une bonne tisane. Et vous verrez un peu plus loin que j'avais comme un pressentiment. Avec vingt bonnes minutes de retard, car la ponctualité n'est pas la première qualité d'un public parisien que l'on dit exigeant... vis-à-vis d'autrui, notre jeune pianiste russe qui a eu bien des soucis ces temps derniers - on sait pourquoi - peut enfin commencer son récital. Disons-le, pourquoi diable fait-il (ou fait-on pour lui) ce choix de deux sonates "tubes" de Beethoven ? Sa
Clair de lune est déroutante, calamiteuse par moments - ah, ce premier mouvement ultra-galvaudé joué en marche funèbre, et la suite à l'avenant, bref sans intérêt - qui souffre de la comparaison avec tant d'interprétations inoubliables (Brendel, Nat, Barenboim, Kovacevitch, et j'en oublie deux cents !). Suit
La tempête, hit incontournable (qu'il eut mieux fait de contourner, selon moi) : trois mesures et brouhaha dans la salle ; une vieille dame (celle de l'ascenseur) est prise d'un malaise qui semble grave. Interruption, éclats de voix, on cherche un médecin et, en fin de compte, on évacue la pauvre femme comme un paquet, sans tenir compte des précautions élémentaires. Lumière de salle rallumée, après cinq longues minutes d'hésitations - 'y a-t-il quelqu'un en régie ? -, et notre pauvre pianiste désemparé, debout, au bord de la scène, ne parlant pas le français, que personne, en coulisses, ne songe à raccompagner en loge. On finit par l'évacuer, le temps que revienne le silence pour lui permettre de recommencer cette grande sonate qui, sous ses doigts, ne restera pas d'anthologie, c'est le moins que l'on puisse dire. Entracte.
Ouf, la musique russe (la redoutable
Sonate de Medtner et les magnifiques
Études Tableaux de Rachmaninov) nous rendent l'impressionnant Malofeev, dans un répertoire qui lui convient cent fois mieux. On est (enfin !) subjugués : technique incroyable, palette de nuances, phrasé, bref tout ce qui faisait défaut dans le Beethoven de la première partie, nous confirment le talent exceptionnel de ce "gamin". Tout ça entériné par une impressionnante suite de "bis" avec des œuvres qui semblent avoir été écrites pour lui : des Russes, certes (Prokofiev, Tchaïkovski, mais aussi un Liszt ,
Mazeppa casse-gueule dont il se joue avec une aisance admirable). Gentil, humble, heureux de jouer, Sacha répond aux rappels avec une belle générosité. Il termine avec élégance par la
Danse de la fée dragée de
Casse Noisettes, transformant le piano en célesta : après les ouragans de Prokofiev, la grâce absolue, une sonorité rarissime. Ne manque, au minimum, qu'un beau bouquet de fleurs, comme à Milan, Tokyo, Montréal, Amsterdam, Verbier... Paris manque de classe, c'est énervant, voire humiliant.
Pour l'heure, sur sa page Facebook, on célèbre les deux concerts précédents, Amsterdam et Frankfurt. M'étonnerait que Paris y figure...
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4 commentaires:
Qué pena ese deterioro de la Sala Gaveau, que tanto frecuenté años, muchos años atrás...
En attendant que le romancier Louis Arjaillès se lâche dans le nouvel épisode hebdomadaire tant attendu, le chroniqueur Silvano nous offre un de ses excellents comptes rendus musicaux d’un récital également attendu. Mais hélas il doit dénoncer avec une parfaite objectivité les conditions dont le jeune pianiste prodige est soumis aux lois de la surenchère médiatique qui lui imposent un rythme de tournées infernal et une programmation absurde. L’image du petit Sacha dans sa double solitude d’artiste et d’étranger, désemparé devant cette salle qui n’est plus un des hauts lieux parisiens de la musique est pathétique. Une chronique qui honore son auteur mais pas la France.
Chronique aigre-douce . En faveur de la salle Gaveau je dirai qu'une lampe sur deux suffit bien : notre bien aimé président nous a demandé de faire des économies d’électricité et c'est ce que je fais ; inutile d’être éclairé à giorno .
Medtner : je ne connais pas , la sonate encore moins . Il en a écrit 14 et ce jeune étourdi de Silvano ne signale pas laquelle . Il faut que je fasse tout dans ce blog , je suis épuisé , je prends une semaine de congés . J'ai pu joindre le gentil Alexander qui a bien voulu m'indiquer que c’était la Piano Sonata in G minor, Op. 22 (1910)
C'est un allumage impromptu qui a perturbé le récital. Par contre, au moment du malaise, il a fallu crier "lumière !".
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