Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


mercredi 14 mai 2014

"L'armée du salut", c'est à voir


Synopsis :
Dans un quartier populaire de Casablanca, Abdellah, adolescent homosexuel, essaie de se construire au sein d'une famille nombreuse, entre une mère autoritaire et un frère aîné qu'il aime passionnément.

Comme un refuge

Il y a une vraie poésie dans le film d'Abdellah Taïa, que ma petite enfance marocaine me permet de déceler en toute subjectivité. Des rues avoisinant la bicoque des protagonistes, me parviennent des senteurs et des sensations jamais oubliées. Ce n'est pas le moindre mérite du film que d'arriver à titiller l'olfactif, prouesse cinématographique en soi. C'en est un autre d'appréhender avec justesse les émotions d'une adolescence mal vécue, celle d'un gamin marocain qui ne peut vivre sa sexualité qu'en dérisoires palliatifs. Là-bas, en terre de non-dits, d'homosexualité jamais assumée, ou seulement sous le couvert de prétextes déculpabilisants ("si je t'encule, je ne suis pas un pédé" dont le pendant est "je fais ça pour le pèze"), le mioche se débrouille comme il peut avec ce système de pensée, se donnant pour une pastèque ou (on ne nous le dit pas) quelques dirhams.
Pour être objectif, le film d'Abdellah Taïa n'est pas exempt de quelques incohérences, d'ellipses qui rendent le parcours du principal personnage quelque peu opaque. 1 heure et 24 minutes, c'est peu, et je reste un peu sur ma faim d'en savoir plus, de comprendre comment le garçon pauvre a accédé au savoir, à l'accomplissement en littérature (c'est pour le moins autobiographique), la relation avec le "protecteur" helvétique  n'étant pas assez explicitée : selon le critique de Libération, " A ce titre, et parmi d’autres audaces, une ellipse de dix ans, en plein milieu, laisse le spectateur spéculer tant qu’il peut sur la manière dont cet ado fragile est devenu ce jeune adulte sûr de lui."
À mon avis, qui ne vaut que ce qu'il vaut, la clé de l'intrigue réside dans la relation vécue avec le frère aîné, hétéro coureur de jupons qui n'en lit pas moins Kazantzakis en français, auquel notre adolescent voue une admiration qui va au-delà de la simple fraternité.

C'est lui, sans doute, qui va l'inciter à se cultiver, à quitter un monde sans espoir pour se réaliser enfin à l'âge adulte.
En fin de course, au début d'une nouvelle vie, Abdellah rejettera un passé qu'il juge indigne de ses aspirations.
C'est la leçon que je veux retirer d'un film inabouti, mais sincère  (ce qui n'est pas peu), dont on regrettera cependant qu'il n'aborde pas vraiment ce sujet crucial :  la difficulté d'être homosexuel au Maroc (et, hélas, dans beaucoup d'autres pays !). 

Une famille nombreuse

Amour, où es-tu ?
On lira le roman du même titre, mais aussi "Le jour du roi" (tous deux au Seuil)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un film qui titille le nez et agite les yeux du spectateur à travers une palette de teintes douces, sableuses, la rondeur des corps soulignée par les arrêtes sévères d'un mur de béton, le profil net d'un jeune homme se détachant sur la pluie de Genève ... J'ai cependant regretté moi aussi l'ellipse centrale et l'absence quasi totale de musique : reste que le dédoublement de l'écrivain en réalisateur est tout à fait réussi et élégant ! Clément