J’étais émerveillé par les sonorités qui jaillissaient... |
Souvent,
nous évoquions Paris. À travers les récits, les articles de presse et les actualités
cinématographiques, nous en étions venus à éprouver une certaine fascination
mêlée de crainte pour la capitale. Nous imaginions avec quelque raison une fourmilière humaine
grouillante de petites gens laborieuses, d’artistes, d’écrivains, de poètes, de
financiers sans scrupules, de femmes chic et de catins, tout ce monde s’engouffrant
à heures fixes dans le métropolitain, auprès duquel notre vieux tramway poussif
faisait figure de patache d’un autre temps. C’est là que se jouait notre
destin, entre les mains des politiciens, des hommes d’affaires et des
banquiers. Les films que nous aimions reflétaient la condition humaine, telle que
s’y vivait celle des prolos trimant sous le joug du grand capital. Nous étions
tout autant subjugués par la nouvelle culture dont les surréalistes étaient les
plus excitants représentants. André en était un fervent admirateur – un
disciple, disait-il. Il citait des noms qui m’étaient encore peu familiers :
issu des Beaux-Arts, il rejetait l’académisme, vénérait le cubisme et les deux Espagnols,
Dali et Picasso. Il vouait la même admiration aux poètes Paul Éluard et
Louis Aragon. Ce dernier avait adhéré au Parti Communiste, ce qui n’était pas
la moindre des vertus pour notre ami. Lors des rencontres du Colombier, il nous
lisait fiévreusement les strophes de ces nouveaux grands hommes, vrais
héritiers, selon lui, de Baudelaire et de Lautréamont. Ces moments
métamorphosaient le taciturne Foulques en porte-drapeau exalté d’un monde
nouveau, chantre, par ailleurs, de l’antimilitarisme et pourfendeur de l’empire
colonial. Encore mal dégrossi intellectuellement, je buvais ses paroles jusqu’à
plus soif, moi qui venais d’aborder les études les plus classiques qui soient,
dans un cadre que je trouvais à présent étriqué.
Qu’il était loin ce village où j’avais
vécu mes premières années, bercé par des parents aimants, ignorant du tumulte d’un
monde où s’annonçait la période la plus noire de l’Histoire. Par les courriers
de mon Jules tant aimé, il m’en parvenait chaque semaine des nouvelles où
quelques surprises venaient parfois troubler la monotonie du quotidien en
milieu rural : le cheval du père Sastre, victime d’un étrange coup de
sang, s’était effondré au beau milieu de la place et on avait dû l’abattre. Clément Chaumard avait disparu pendant trois jours, donnant lieu à une
véritable battue dans la campagne et les bois environnants. Jules et moi
savions bien où il était. Goupil m’avait écrit, dans sa dernière lettre, que
Solange Gleize ne buvait plus, à la stupéfaction de ses concitoyens, jusqu’à ce
que soit découvert le pot-aux-roses : elle était enceinte ! Ce qui
était peut-être le cas de ma propre sœur dont les épousailles avec Jean-Paul
Raynal avaient été avancées. Il s’en réjouissait, car c’était l’occasion de retrouvailles,
et cette fois, écrivait-il, « cheveux-de-neige sera chez lui, et on pourra
enfin se revoir comme il faut, tu m’as compris. »
Un printemps précoce, un début d’été
presque, avait donné à Montpellier de belles couleurs dès les premiers jours de
mars où les giboulées de saison nous avaient snobés. Je n’avais pas eu besoin
des primevères pour exacerber mes sens : l’hiver avait été émaillé de mes
joutes charnelles avec un Émile qui, maintenant, avait revêtu ces tenues plus
légères qui exaltaient sa beauté. Ses pantalons courts avaient refait leur
apparition, qui m’émoustillaient à chaque rencontre. J’avais été accueilli avec
bienveillance chez mon nouvel ami, Pierre Bloch, lequel, en présence de son adorable maman, m’avait donné un véritable récital de violon. J’y avais
découvert des compositeurs jusqu’alors inconnus de moi, Telemann, Mendelssohn,
mais aussi du Bach et du Beethoven. J’étais émerveillé par les sonorités qui
jaillissaient ou, tantôt, affleuraient avec une délicatesse infinie de l’instrument.
C’est la période où je devins un fervent mélomane. Celle, aussi, où je réalisai
l’inanité de l’antisémitisme.
Chez mon grand-oncle se pressaient tous
les soirs des hommes venus débattre de politique dans une effervescence que je
trouvais alarmante ; je me réfugiais à la cuisine avec ma tante et ma
cousine, tendant l’oreille vers ces discussions qui éveillaient en moi la fibre
politique. Léon Blum venait de retrouver la Présidence du Conseil après l’intermède
radical où Camille Chautemps avait exercé la fonction. Marcel s’en réjouissait.
Mais les jours du Front Populaire étaient comptés. Pour de bon, cette fois.
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : le violoniste allemand Adolf Busch (1891-1952)
A. Busch, antinazi convaincu, choisit l'exil en 1933, dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir.
2 commentaires:
J ai gardé le feuilleton pour la fin , comme les enfants ou comme les vieux retombés en enfance qui gardent le meilleur pour la fin . J avoue qu en ce 1er jour de printemps je m attentais à voir les vestes tomber , les chemises s envoler dans la chambre , les marcels fairent de la résistance ...
J ai découvert Eluard à la fin d une conférence de presse du Président Pompidou ; tout le monde s est regardé interloqué .
Je vous livre ce que j ai retenu , ce n est ni la version Eluard , ni la version Pompidou . Pour les jeunes , il parlait de l affaire Gabrielle Russier vers 1969 .
Comprenne qui voudra , mon seul remord , ce fut la femme qui roula dans le pavé , découronnée , défigurée , elle ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés . C est de l Eluad conclut le Président et il se leva . Plus de 50 après , j en suis encore ému .
PS : je crois Silvano , qu aujourd’hui , j ai dépassé plus que largement mon temps de parole .
C'est toujours aussi passionnant. Vous savez mêler l'histoire, le contexte socio-politique et les émotions adolescentes avec bonheur. uvdp en rajoute, et prend une tangente utile, aujourd'hui, bien qu'Éluard ne soit pas le cœur du sujet. On lui pardonne, car n'ayant encore atteint la quarantaine, la période qu'il aborde, mérite d'être observée.
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