Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


dimanche 26 juillet 2015

Venise n'est pas en Italie

Canaletto "photographia" Venise mieux que quiconque.
Venise exerce sur moi comme sur des millions d'humains à travers les siècles une fascination que
j'ai bien du mal à expliquer à travers tous les billets que j'ai pu consacrer à la Sérénissime.
À me l'expliquer, je n'y parviendrai sans doute jamais, ou alors par bribes.
Ainsi, il m'apparait évident que l'un des aspects de cette fascination est que Venise est musique : je me suis délecté du volumineux ouvrage (près de 800 pages !) que Sylvie Mamy, après des années de travail, a consacré en 2011 à Antonio Vivaldi.
En exergue, une citation extrait de l'ouvrage de Gilles Deleuze intitulé "Le fil" (1988) où ce dernier tente une explication de ce qu'est la musique baroque, qu'il conclut par ceci : 
"Le trait du Baroque, c'est le pli qui va à l'infini".
Venise est musique, et Vivaldi est son prophète : on ne peut penser à Venise sans penser à Vivaldi, et inversement.
Il fallut attendre la deuxième moitié du vingtième siècle pour que le "prêtre roux" soit enfin reconnu, après une longue période d'oubli : de jeunes étudiants passionnés découvrirent ça et là, en Italie, des manuscrits qui révélaient le génie de celui que Bach, lui-même "oublié" fort longtemps, admirait tant.
Pendant très longtemps, je me refusai à écouter Les Quatre saisons : le vulgaire s'en était emparé, les utilisant en musique pour attente téléphonique, dans les ascenseurs, dans les aéroports et autres circonstances tout aussi triviales.
C'est là, pourtant, un chef-d’œuvre parmi d'autres dans la production du Maître vénitien.
Issu d'une famille pauvre, le jeune Antonio dut accéder à la prêtrise comme seule voie possible à l'élévation du niveau de vie dans une Venise où tant de lieux de cultes exigeaient une "main d’œuvre" pléthorique : il fallait recruter prêtres et chanoines pour célébrer offices et sacrements à tours de bras !
C'est donc cette "carrière" que le jeune Antonio, déjà violoniste d'exception, embrassa.
Ce n'est qu'après son ordination, à 25 ans (âge obligatoire), que le musicien commença à composer.
La République de Venise, après que la Sérénissime ait rayonné à travers le monde, était déjà sur son déclin.
Elle n'eut alors pour vocation que d'accueillir les "grands" de ce monde pour fêtes en tous genres : Venise restait cependant capitale des arts, musique en tête, et il fallait "fournir" : inspiré, génial (ici le mot trouve sa véritable signification), Vivaldi s'y employa sans difficultés, laissant à l'humanité une œuvre immense que je n'ai pas fini de découvrir : un interlocuteur avisé sur la question me citait, hier encore, des pièces dont je n'avais jamais entendu parler, accroissant mon avidité, ma soif de connaître...
Tout cela me ramènera toujours à Venise, où je suis allé plusieurs fois, mais que je ne peux prétendre connaître comme il se devrait : j'ai fort peu exploré, par exemple, le quartier (sestiere) du Castello, populaire, et ne suis jamais allé sur l'île de San Giorgio Maggiore qui, pourtant, impressionnante, nous attend à quelques brasses, de l'autre côté de la lagune quand on arrive de San Marco : je suis donc encore un peu "touriste" ; il faudra, la prochaine fois, que j'évite absolument les lieux que je connais déjà, et m'écarte des chemins balisés que j'ai déjà foulés.
Et, comme tant d'autres avant moi, j'essaierai, une fois de plus, de comprendre l'angoisse qui m'étreint chaque fois que je quitte la "ville" (peut-on employer ce terme ?) la plus étrange d'Europe : mais, comme le chantait Serge Reggiani, Venise n'est pas en Italie ; j'ajouterai que Venise n'est pas en Europe, elle n'est nulle part, elle est Venise, elle est unique.

Giorgione
 La réception du roi de France Henri III à Venise - Attribué à "Palma le Jeune" (vers 1595)

12 commentaires:

Emmanuel F. a dit…

Merci pour ce très intéressant billet ; si vous lisez l'italien, je vous signale un très beau petit livre récemment paru en Italie, "L'Affare Vivaldi" (éditions Sellerio) qui raconte de façon romancée et palpitante l'enquête qui a conduit à la redécouverte des partitions manuscrites de Vivaldi, dans les années vingt du siècle précédent. Si vous me permettez cette autopromotion, j'en parle ici avec un petit extrait que j'ai traduit.

Silvano a dit…

Emmanuel, c'est passionnant, et votre billet est fort intéressant. Je note l'heureuse coïncidence : vous publiez votre article mercredi dernier, et moi le mien aujourd'hui, lequel est une "rediffusion" (comme la télévision, l'été, je cède à cette facilité) d'un billet publié il y a déjà trois ou quatre ans, légèrement remanié il est vrai. Je vais me procurer cet ouvrage qui tombe à pic au moment où se fait sentir un besoin pressant d'aller plus loin dans ma pratique de la langue italienne, qui n'est, pour l'heure, qu'instinctive. J'aime beaucoup votre blog, même si j'ai une réticence sur les références fréquentes à un écrivain français dont les idées me font froid dans le dos. Mais n'en discutons pas ici : on peut échanger par courriels sur ce sujet, si vous voulez.

Anonyme a dit…

n'est pas vrai, reste le produit des venetians et le bon dieu encor se leche les plaies pour ca bellezza humaine,
Catania

Silvano a dit…

Merci, ami italien, mais qu'est-ce-qui n'est pas vrai ?
Vous pouvez répondre en italien.

Anonyme a dit…

n'est pas vrai que "Venise n'est pas en Europe, elle n'est nulle part, elle est Venise, elle est unique". Toutes les villes sont unique, Paris. Lyon etc. mais, Venezie est une face de le polyedre qui s'appelle Italie Ok? Je prefere ecrire en francais pour enrichir mon francais, perdonez mes erreurs.
Catania

Silvano a dit…

Catania, pensez-vous que l'Italie est un pays vraiment uni ?

Palomar a dit…

Vous pouvez aussi lire le roman de Tiziano Scarpa, Stabat Mater (Premio Strega 2009) sur l'Ospedale, Vivaldi, etc. J'en avais parlé sur un blog que j'ai abandonné depuis, faute de temps, mais toujours en ligne: http://aventinoblog-notes.blogspot.fr/2010/06/concerts-baroques.html.

Anonyme a dit…

oui, c'est vrai, l'Italie, comme il a dit Dante en '1200, c'est un bordello; alors je vous demande: pourquoi beaucoup de voyagers, important comme Goethe, Dumas, Reclues, etc. etc.
meme mes cousins de N.Zeland aiment vivre en Italie? Quel'est l'actration qui portent beaucoup de person a vivre en l'Italie?
catania

Silvano a dit…

Vu, Palomar, merci pour le conseil.
Dommage, ces abandons de blogs...

Silvano a dit…

Catania : parce que c'est le plus beau "bordello" du monde !

Gratianus a dit…

Cher Silvano,
J'ai été arrêté par la phrase "Le même Giorgione peignit aussi la réception..." Avec l'image placée juste au-dessus la différence de style et d'époque saute aux yeux. Giorgione est mort en 1510. Henri III a visité Venise en 1574 (lorsque, quittant la Pologne, dont il avait été élu roi, il s'acheminait vers la France pour succéder à son frère Charles IX qui venait de mourir). Le tableau est attribué à Palma le Jeune et il paraît que les spécialistes le datent "vers 1595".
Je n'en sais pas plus et d'ailleurs ce n'est pas mon domaine. Mais il m'a semblé que la qualité de votre blog, dont je me délecte, méritait que cette distraction soit effacée ou, si ce n'est pas possible, atténuée par un petit corrigendum dans les commentaires.
Fidèlement à vous.

Silvano a dit…

Cher Gratianus, j'ai corrigé (à même le billet)cette bévue qui illustre mes lacunes en matière d'histoire de l'art. Merci infiniment pour vos remarques. J'ai parfois tendance à "bloguer plus vite que mon ombre". Continuez à veiller, c'est fort utile à quelqu'un qui, comme moi, ne cesse de déplorer les imprécisions et contre-vérités répandues par le robinet numérique.