... athlète robuste et gracile à la fois... |
« Faudra peut-être que j’essaie, un de ces quatre. » La phrase du beau Marc ne cesse de me tourmenter. Penché sur ma dissert’, labourant mon piano, ou tentant vainement de suivre le cours d’un roman, le visage d’Alena, que j’essaie de reconstituer mentalement dans la confusion, m’ôte toute possibilité de concentration. Et comme pour m’accabler sans remède, est survenu, hier matin, l'événement inespéré : l'apparition de l’astre, jaillissant sur le parquet du gymnase où je m’escrimais, pauvre loque indolente, contre un indomptable cheval d’arçon. Le beau blond s'est avancé dans un halo de lumière divine, trottinant dans son short de nylon, débardeur siglé OAJLP (Olympique d’Antibes-Juan les pins), baskets ailées, forcément, les cuisses avantageuses telles que je n’osais les dessiner dans mes évocations les plus hardies.
Perron, le prof d’éducation physique m’avait laissé là après le cours, en punition à la mauvaise volonté dont je fais preuve lors de ces séances de torture hebdomadaires ; ma mère m'en dispense le plus souvent, qui échange sa complaisance contre une ou deux heures supplémentaires au clavier. Du coin de l’œil, j’ai vu entrer l’objet de mon désir et me suis accoudé gauchement à l’instrument de sévices, ne sachant que faire de mon corps ; j’ai pris un air détaché, ai balbutié un « salut ! » qui se voulait de convenance, mais, j’en suis sûr, tout dénonçait mon émoi.
Celui qu’on n’appelle que Marco, a volé jusqu’à moi à petites foulées, condensé de grâce et de virilité, athlète robuste et gracile à la fois, impérial, sûr de lui.
Toujours trottinant, le garçon majuscule a tourné autour de moi, et, sans que son verbe ne trahisse le moindre effort :
« Monsieur Soubeyrand dans une salle de sports, pas croyable ! L’intellectuel, l’artiste, le garçon fragile, l’homme-à-hommes, ça, c’est la surprise de l’année ! »
Ne rien laisser paraître de l’émotion qui me liquéfie, sourire simplement parce que je suis heureux de lui faire face, trouver la force d’articuler convenablement ma réponse : il le faut, me suis-je ordonné.
« T’as raison, Alena, chacun son truc. C’est Perron qui m’a collé devant cette machine infernale, sans illusions, juste pour me punir d’avoir fait rire les autres pendant le cours. »
Il est vrai que je manie l’humour avec une certaine aisance : mes traits d’esprit sont des flèches que je décoche pour me faire valoir ou pour me sortir de situations périlleuses ; une soupape de sûreté bien utile.
« Les gens comme toi, il en faut, Soubeyrand. J’aime le sport, mais, tu sais, je cultive ma tête, aussi ; j’aimerais bien t’écouter jouer, paraît que t’es un as ! »
Je ne sais pas si je reviendrai un jour de l’aplomb avec lequel j’ai répondu, comment il m’est venu que je devais attraper le ballon qu’il me lançait, battre ce fer brûlant, réagir « allegro vivace » à son souhait et je lui ai retourné d’un revers imparable :
« Ah mais quand tu veux, Marco, samedi aprème, par exemple, ça te va ? »
Et lui, ayant saisi les règles de ce jeu subtil, dans l’une de ces impérieuses urgences que nous souffle cette petite voix intérieure qui, dans pareils moments, nous dit qu’il faut foncer :
« D'acc ! Tu sais jouer Wild world ? »
Ah, Wild world, chanson bénie des dieux de l’amour, m’exaltais-je in petto, doux refrains de nos parties de cartes du Milk, maintenant promise à complicité !
« Bien sûr, Marco, et plein d’autres ! » me vantai-je.
Anela soudain a plissé les jeux, son sourire s’est fait narquois :
« Et t’en profiteras pas pour me chasper, hein ? »
Il faut ici que j’explique au lecteur ce terme des idiomes locaux, propre aux «cacous », ces jeunes des faubourgs qui affectent d'être des "durs de durs" dont Marc Alena n’est pas, au demeurant : chasper, c’est, pour rigoler, mettre sans ambages la main au sexe d’un camarade !
Et moi, ragaillardi :
« Oh, Alena, tu me prends pour qui ? »
« Et bien justement... » persifle-t-il.
Nous sommes convenus de nous voir chez mes parents à quatre heures samedi, où il n’y aura que ma mère, ravie, ai-je anticipé, de faire la connaissance d’un camarade aussi avenant.
Et je me garderai bien de le chasper.
Avant que je prenne la fuite, Marc Alena a porté l’estocade : il a posé sa main avec une douce fermeté sur mon bras nu pendant quarante-sept secondes, et, plissant les paupières :
« Putain, il a la peau douce, le pianiste. »
(À suivre)
(c) Louis Arjaillès - Gay Cultes 2017
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Photo : Adriano Russo
9 commentaires:
Une toute petite correction, cher Silvano que me dicte ma conviction de vous voir succéder un jour au grincheux Ben Jelloun à l’Académie : « on est convenu » et pas « on a convenu ». Convenir comme venir se conjugue avec l’auxiliaire être. Cela étant dit en toute amitié, j’ai hâte de savoir qui va chasper l’autre
Ah, voilà donc ce qui me gênait ! Merci Ludovic : j'en ai profité pour modifier ce début de phrase.
Oui,Silvano, c'est bien mieux comme ça.
A suivre avec impatience.
Vous écrivez "en punition à la mauvaise volonté dont je fais preuve lors de ces séances de torture hebdomadaires dont je me fais dispenser le plus souvent".
Pouvez vous ainsi reprendre ce "dont je(me) fais" ?
Excusez cette remarque désobligeante, mais peut-être utile.
Xavier
Xavier, vous avez raison, je vais alléger cette formulation malencontreuse.
Vous savez, je publie "en flux tendu", comme ce fut le cas pour le précédent. Je remanie entièrement après.
C'est fait. Provisoirement. Et merci : je me relirai mieux la prochaine fois.
Ravi d'assister à la gestation du nouvel opus.
Vous avez une jolie personnalité, Silvano ouverte aux remarques, certes bienveillantes de vos lecteurs. Ce n'est pas le cas de beaucoup dont l'égo a tendance à se rétracter.
Vous, vous accueillez, fort de vous même.
Il est vrai, par ailleurs, qu'il est touchant de voir un roman en gestation. Nous en lisons une part chaque semaine, disponibles à ces personnages, ces situations, ces "décors" qui semblent émerger dans l'espace virtuel et prendre chair.
Lorsqu'ensuite, nous avons le roman en main comme "Tombe Victor" la naissance est achevée et ce qui nous a été offert, par petites touches prend alors une autre dimension, devient plus vaste et une nouvelle aventure commence, celle du livre.
Marie
Chère Marie, je n'oublie pas que, par leurs remarques - le plus souvent bienveillantes,comme vous le soulignez - mes lecteurs ont pris leur part à l'aboutissement de mon premier projet. S'il en est de même pour celui-ci, je ne peux que m'en réjouir. Et merci pour vos commentaires qui me sont précieux et me stimulent.
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