Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


dimanche 19 août 2018

Cadeau : Bach nous soigne



Jouir de jouer : très grande interprétation d'un David Fray très bien entouré.


[Je ne sais plus quand Jean-Sébastien Bach est entré dans ma vie. Mon père m’avait fait découvrir un peu Schubert, beaucoup Chopin, et puis les modernes, mon tiercé gagnant, Debussy, Ravel, Satie, que j’écoute passionnément depuis l’adolescence. Mais Bach, non. Trop sacré, il m’était étranger. Pire, il m’impressionnait de loin, ça fait ça parfois, les génies. 
Et puis un jour, j’ai vu Glenn Gould à la télé. Il avait l’air d’un vieil étudiant en pull qui bouloche. Il était tout voûté sur son piano et il chantonnait. Oui, il chantonnait sur Les Variations Goldberg et j’ai trouvé ça tellement sidérant, tellement dingo, que la distance s’est évanouie. J’ai cessé d’avoir peur de Bach. 
Depuis, Jean-Seb et moi, on ne se quitte plus. Il ne se passe quasiment pas une journée sans que j’écoute ses Variations. C’est ce qui joue dans mon casque quand j’écris, ça crée comme une bulle, une zone coupée du monde. Je les chantonne aussi, sans me sentir ignorant devant la musique savante. 
Mieux, j’ai réalisé que quand je désespère de l’humanité, c’est Bach qui nous rabiboche. A chaque tweet de Donald Trump, par exemple, je me dis « Oui, mais il y a eu Bach ». Quand je juge hâtivement que l’espèce humaine mérite son sort, Jean-Seb me tape fraternellement sur l’épaule et me rappelle à moi, l’athée convaincue, qu’on n’est pas condamnés à la médiocrité. Qu’il y a une lueur, une grandeur en nous. Ça fait ça aussi, parfois, les génies.]
Philippe Lançon in Le Lambeau (Gallimard)

À podcaster, l'édition du 13 août de l'émission de Marie Sauvion Une bonne tasse d'été  sur France Inter : Pourquoi Bach nous rabiboche avec l'humanité ?  malgré la faute de Français dans ce titre. (De plus, le point d'interrogation est superflu.)

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Jean Sébastien était-il déjà programmé au moment du bing-bang ?
Oui, je le crois.

Silvano a dit…

Je le crois aussi.
Mais qui êtes-vous ?

Bive a dit…

Anonyme, vous pensez comme un dieu !

Silvano a dit…

Ainsi soit-il.

Jules D. a dit…

Ce pianiste est habité, c'est incroyable !
Jules

Pierre Sand a dit…

Condition sine quo non : écouter la vidéo mais ne pas le regarder : comment peut-on être aussi mignon et faire d'aussi horribles grimaces ? Certes on peut vivre la musique, tel G Gould dont ce jeune homme s'inspire visiblement mais pourquoi tant de souffrance, l’extase doit-elle déchirer les entrailles ? Lorsque en un instant il passe de la nausée au sourire le contraste est saisissant, mais le sourire aurait suffit, ou la sérénité, celle de cette musique.

Silvano a dit…

Oui, Pierre, c'est le gros défaut de David Fray. Nous sommes obligés de faire avec : il joue si bien !

Enguerrand a dit…

Daniil Trifonov est également une pénitence à regarder, mais quel toucher ! C'est les yeux fermés, donc !