(...) c'était un homme-enfant. |
Lors de notre balade en ville, il avait dit « Si tu veux, on ne s’aimera pas,
ce sera juste pour le plaisir ; parce que nous avons faim tous les deux, n’est-ce
pas ? Si tu veux, on ne s’embrassera même pas sur la bouche, puisque tu as
un amoureux, je l'ai bien compris. Si tu veux, on jouira ensemble comme tu voudras.
Tu me plais tellement. Je veux que ce soit avec toi. Pas un autre. Tiens, les Arceaux ! Mon salopard de frangin vient faire le coup de
poing, ici. Il y a des gars, dans le coin, qui vont avec des vieux pour du
fric. Tu imagines, s’il savait ? Peut-être qu’il se doute de
quelque chose : il se montre devant moi quand il sort de la douche, la
verge dressée. Il me voit comme un bébé. Il ne sait pas que la mienne est plus
grosse, je te jure ! » fanfaronnait-il !
Je pensais « il m’allume, m’excite, m’effraie. Il sait que maintenant, j'ai
envie de lui avec ou sans baiser sur les lèvres ou avec nos langues, comme avec
Jules. » On sait tous les deux que, maintenant, la chose est inévitable.
Chapeau, petit puceau, bien joué ! Je n’avais plus qu’une idée en tête :
aller trouver Marcel, plaider ma cause, lui demander la clé du paradis
« Le petit
Boisselier ? Au fou ! » Je crus que Fabre allait s’étrangler,
faire une attaque, une crise de convulsions. Je lui avais tout raconté, depuis
la culotte courte jusqu’à la bombe glacée dans les cuisines de l’hôtel, sans
omettre le petit jeu verbal intensément érotique du déjeuner surréaliste de la
veille. « Il a fallu que tu t’amouraches du frangin de cette ordure fasciste !
Attends, je m’assois, j’ai besoin de reprendre mon souffle. Quelle histoire ! »
Je ne savais que déduire de sa réaction, car Marcel avait pour habitude d'osciller entre le tragique et le comique. Il est vrai que la situation s’y
prêtait singulièrement. Mais c’était bien le même Fabre qui, il y a peu,
ironisait sur ce qu’il avait appelé mon « priapisme », ce
même Marcel qui avait remarqué ma gêne comme je tentais, à Palavas, de
dissimuler mon émoi pendant qu’il m’enduisait d’ambre solaire. Il s’en était moqué
gentiment d’un rire à l’adresse de son compagnon : « Ça bande
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ces minots ! », auquel André
avait répondu sur le même ton « Tu peux parler, toi : tu auras ma
peau ! » Qui aurait pu mieux entendre que, ne me laissant le
moindre répit, mes sens battaient une éprouvante chamade ? Le beau moustachu ne prit guère le temps de la réflexion. De la poche de son veston, il sortit deux clés qui rejoignirent prestement la mienne. « Regardez
attentivement autour de vous avant de pousser la porte de l’immeuble. Munis-toi
d’une lettre ou d’un paquet qui me serait destiné, au cas où vous croiseriez un
locataire. Vous monterez dans un silence absolu ; enfermez-vous, enlevez
vos chaussures – le parquet craque – et quittez les lieux avant six heures
après avoir tout remis en ordre. Tu laisseras les clés au gardien du Théâtre
pour André. Ça vous laisse plus d’une heure. Faites
en sorte que je n’aie pas à regretter cette folie. » Ah, Marcel Fabre, mon
frère !
Le lendemain, sitôt sortis du lycée, tels
deux rusés Comanches, nous empruntions le sentier de l’amour.
Je le croyais fluet, mais
le pull-over à col roulé près du corps et le pantalon à pinces laissaient augurer
d’un corps dans sa plénitude. De l’adolescent à l’homme, la mue avait fait son œuvre.
À ce détail près que le visage demeurait glabre. À cet âge, on se plaît à
comparer les pilosités – « Tu
te rases, toi ? » –, comme si c’était un signe d’achèvement. J’aimais
cela en lui, c’était un homme-enfant. Émile s’était affalé de tout son long sur
l’unique fauteuil de la chambrette, dans une position caractéristique de jeune
homme nonchalant, que j’adoptais, moi aussi, plus souvent qu’à mon tour : pas
vraiment assis, presque couché. « Bon, vas-y, tu es le maître, je me
laisse faire ! » s’abandonna-t-il.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
Épisodes précédents : cliquer
Il y a des gars, dans le coin, qui vont avec des vieux pour du fric. |
1 - Photo Nicholas Efimcev
2 - Glané
13 commentaires:
Ah, il faudra encore attendre !
estèf
Je suis du même avis qu'Estèf. Silvano possède l'art de nous tenir en haleine.
Silvano nous met au supplice !
Chi va piano, va lontano .
Ça monte en puissance, si j'ose dire.
Ah les coquins ! Lundi prochain, votre patience sera récompensée.
Vivement lundi !
Alexis de Savoie.
Passionnant. On attend du torride.
Bien à vous,
M.
J'ai relu quelques épisodes, dimanche dernier, pour le plaisir. Vous tenez là un beau roman, historique et passionné. J'imagine le travail de mise en forme définitive qui vous attend. Il y a des fulgurances. Jouez donc de votre humour "légendaire". J'attends chaque épisode avec impatience. Merci pour tout.
Comme UDVP; et j'ajouterai "qui veut aller lion ménage sa monture"
Demian
Désolé uvdp j'ai écorché ton pseudo... Demian
Demian : je l'écorche souvent, moi aussi. Mais je fais exprès.
Je ne sais plus où, un lecteur a écrit uvpd. J'ai ri.
Vivement l'entrée au paradis !
Jules
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