Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


mardi 25 juin 2013

Chronique de la haine ordinaire

L'une des œuvres d'Olivier Ciappa victimes du carnage
Internet, formidable outil de communication, est aussi, hélas, un immense café du commerce où se défoule la haine la plus crasse. La lecture des "réactions" (c'est le mot !) aux articles des journaux en ligne, les appels à l'intolérance relayés par les réseaux "sociaux" (tu parles !), la surmédiatisation de la violence observée goulument par les média soucieux de "faire du buzz " polluent gravement notre environnement. Favorisée par la crise et l'accroissement du chômage, mais aussi par la société du spectacle, la montée en puissance de l'extrême-droite, constatée dans les élections partielles récentes, est plus que préoccupante. Le "ravalement" d'un parti qui se dit républicain tout en rejetant les valeurs de la République (Liberté Égalité Fraternité) abuse une population exaspérée par l'impuissance des partis réellement républicains à résoudre ses problèmes.
Formidable avancée sociétale, la loi instituant le mariage entre personnes de même sexe, votée, promulguée et appliquée selon les règles de la démocratie, a, en effet boomerang, provoqué une vague d'homophobie telle que notre pays n'en a jamais connue. Symbole de cette haine ordinaire, la vandalisation, à Paris, des photos d'Olivier Ciappa mettant en scène l'amour. Ces actes sont aussi révélateurs, à mon sens, d'une aversion pour le culturel qui rappelle les moments les plus tragiques de l'Histoire du 20è siècle. On doit garder en mémoire la phrase de Baldur von Schirach, haut dignitaire du régime nazi (condamné, lors du procès de Nuremberg à 20 ans de prison) : « Quand j'entends le mot « culture », je sors mon revolver ! »
Avant de pratiquer les autodafés, les nazis avaient sans doute commencé par lacérer des œuvres d'art.
Quant à moi j'intègrerai samedi prochain la Marche des Fiertés, de Montparnasse à Bastille.



9 commentaires:

Roland a dit…

Les citoyens doivent se réveiller, les Républicains se mobiliser. A nous de combattre les haines qui s'expriment, de lutter pour le rétablissement des valeurs républicaines.

Maxence 23 a dit…

Billet nécessaire.
Il y aura un char Gay Cultes samedi ?

Silvano a dit…

Non, Maxence23, juste une brouette où j'aurai pris place, poussée par un éphèbe, car je boitille actuellement.

Cyril a dit…

Resterait-il une petite place dans ta brouette? Ou pourrait-on y ajouter un side-car?

The Narrow Corner a dit…

Les nazis et leurs sympathisants classèrent immédiatement les homosexuels parmi les groupes prétendument responsables de l'instabilité de la société allemande et de la faiblesse de l'Etat. Juif, homme de gauche, réformateur social et militant de la cause homosexuelle, Magnus Hirschfeld devint l'une des premières cibles des nazis. En 1921, lors d'une conférence donnée à Munich, le berceau de l'extrême-droite allemande, Hirschfeld fut couvert d'insultes. Lorsqu'il quitta la salle, le médecin âgé de cinquante-deux ans fut traîtreusement lapidé par une bande de jeunes voyous. Un coup à la tête l'assomma et Hirschfeld, atteint d'une fracture du crâne et saignant abondamment, s'effondra sur le trottoir. De nombreux Allemands furent choqués par la nouvelle de cette agression, mais cela n'empêcha pas un journal de Dresde de publier le commentaire suivant : "La mauvaise herbe ne meurt jamais. Le célèbre Dr Magnus Hirschfeld a été si sérieusement blessé qu'on le disait à l'article de la mort. Aujourd'hui, nous apprenons qu'il se remet de ses blessures. Nous n'hésitons pas à dire qu'il est dommage que cet horrible et éhonté empoisonneur de notre peuple n'ait pas trouvé la fin qu'il méritait."

Dès leur arrivée au pouvoir au début de l'année 1933, les nazis entreprirent rapidement de transformer cette idéologie en politique nationale et d'élaborer les stratégies permettant de définir les homosexuels comme des êtres inférieurs et le désir homosexuel comme une menace pour la société.

The Narrow Corner a dit…

La première de ces actions intervint moins d'un mois après l'accession d'Adolf Hitler au poste de Chancelier. Le gouvernement prohiba les publications à caractère sexuel, y compris tous les journaux homosexuels (même ceux dont le contenu était anodin) et déclara hors la loi les associations militant en faveur des droits des homosexuels. Quatre semaines plus tard, des officiers S.S. mirent à sac l'appartement du directeur du Comité Scientifique-Humanitaire, Kurt Hiller, qui, tout comme Hirschfeld, était homosexuel, juif et socialiste. Une semaine plus tard, Hiller fut déporté au camp de concentration d'Oranienburg, où il fut torturé à maintes reprises avant d'être libéré par inadvertance neuf mois plus tard.

La campagne visant à détruire le mouvement homosexuel et à éliminer l'imagerie homosexuelle débuta le 6 mai par l'irruption d'une centaine d'étudiants nazis dans l'Institut de la Science Sexuelle de Magnus Hirschfeld, qu'un théoricien du parti qualifia plus tard de "dépotoir et de terreau à vermine sans équivalent". Les étudiants s'emparèrent de la bibliothèque et des archives qui, dans la nuit du 10 mai, allèrent rejoindre les livres "non-allemands" sur le gigantesque bûcher allumé devant l'opéra de Berlin. Un buste grandeur nature d'Hirschfeld fut également passé par les flammes. Si Hirschfeld lui-même échappa à l'arrestation, c'est tout simplement parce qu'il se trouvait à l'étranger pour une série de conférences. Quelques jours plus tard, Hirschfeld put voir les images de la conflagration dans une salle de cinéma parisienne. Il eut alors le sentiment, en regardant les flammes consumer l'œuvre de sa vie, d'assister à son propre enterrement. Il demeura en exil jusqu'à sa mort en 1935. Adolf Brand fut lui aussi inquiété. Entre les mois de mai et de novembre, la police effectua cinq descentes dans sa maison d'édition. Ces raids se soldèrent par la saisie de tous les livres et magazines qu'il avait archivés pendant près de quarante ans.

Le printemps et l'été 1933 coïncidèrent avec l'extension de cette offensive aux territoires sociaux des homosexuels. Les bars et les boîtes de nuits qu'ils fréquentaient furent attaqués par les S.A. Parmi les premiers lieux de débauche répertoriés comme foyers de subversion par les nazis figurait le célèbre Eldorado de Berlin, qui demeurait un agréable point de convergence pour une foule bigarrée et cosmopolite de lesbiennes, d'homosexuels, de travestis des deux sexes et de touristes en goguette. Le grand et élégant espace de la Motzstrasse rouvrit immédiatement... sous forme d'un bureau de propagande du parti nazi, la façade couverte d'énormes svastikas et d'une gigantesque bannière rédigée en lettres gothiques invitant le chaland à voter pour la liste hitlérienne aux élections parlementaires. La croix gammée recouvrait désormais l'inscription qui avait fait la renommée de l'Eldorado : "Vous l'avez trouvé !" Pour les homosexuels allemands, l'Eldorado venait d'être brutalement relégué aux pays des rêves...

(De l'Eldorado au IIIe Reich, Vie et mort d'une culture homosexuelle, Gerard Koskovich, 1997)

Désolé pour ce com un peu long, Silvano. J'espère que vous ne m'en voudrez pas. Votre billet est très bien : tout y est dit.

Silvano a dit…

Merci Another Country d'alimenter la chronique. J'y reviens demain matin grâce à vous.

Silvano a dit…

Cyril, ok pour le side-car. A 2 c'est trop risqué, et les éphèbes sont parfois... renversants.

Cyril a dit…

Renversé par ton éphèbe, j'en rêve !…