(...) la complicité était flagrante... |
De Roland Sieffert, je savais alors peu de choses. Marcel avait évoqué,
à deux ou trois reprises, cet Alsacien rencontré lors du grand rassemblement
des Éclaireurs de 1936. Le potard avait pris sous sa protection ce garçon de
quinze ans dont il avait instinctivement pressenti la particularité qui les
unissait, qu'avait confirmée la missive que le gosse lui avait adressée en
septembre. L'ami Fabre m’avait montré une photographie prise lors de ce
« jamboree ». Sur le petit carré de papier dentelé, la complicité était
flagrante entre ce petit blond d’aspect germanique et son aîné. Le lecteur
apprendra plus avant en quelles circonstances mon chemin devait croiser celui
du gentil Roland.
*
En cette fin décembre, je repris la
route de Saint-Jean pour fêter Noël en famille. J'avais mis sous le boisseau, jusqu'ici, le remords qui aurait pu – qui aurait dû – me tenailler. Je m’étais armé d’un
confortable après-tout qui ne laissait aucune place à la culpabilité. Mais, cette
après-midi-là, dans le car qui me rapprochait inexorablement du village, ce n’étaient pas les soubresauts du véhicule qui
provoquaient mes haut-le-cœur. C’était bel et bien la honte qui faisait
surface, s’insinuait en moi jusqu’à la nausée, me vrillait le corps et l’âme.
J’échafaudais toutes sortes d’explications, d’excuses, dont aucune ne parvenait
à me satisfaire. Après le grand virage, c’était l’arrêt du lavoir, où se
dessinait la silhouette de ma chère maman. Pour dissiper mes tourments, pour être
en mesure d’arborer le large sourire que les circonstances obligeaient, pour me donner le change, je
pensai très fort à l’arrivée du lave-linge à
manivelle dans notre foyer, qui avait mis un terme, pour ma mère, à ces heures
passées à genoux, au bord du bassin, battoir en main. Je me souvenais de ma
danse frénétique autour de l’imposant appareil lors du déballage, de la grâce
qu’on m’accorda ensuite de pouvoir manipuler l’essoreuse à rouleaux, du parfum
de savon qui enveloppait la maisonnée quand on ouvrait le réceptacle, de m’être un jour brulé la main au fer à repasser et de la visite à Madame Pépin, la guérisseuse
qui savait éteindre le feu sur la peau, soulager la méchante douleur des
piqûres de guêpes ou le mal blanc des enfants qui se rongent les ongles, en
marmonnant d’impressionnantes incantations, sorcière et bonne fée à la fois.
Le
sourire de maman éclairait l’obscurité naissante de cinq heures ; je me
blottis dans ses bras entre rire et larmes et me saoulais de ces baisers sonores
qui claquent doucement sur le visage des éternels nourrissons que nous sommes,
dont nous ne serons jamais rassasiés dans notre soif inextinguible d’un amour
maternel qui, tout au long de notre vie, demeure ancré au plus profond de nous-même.
« Tu es encore plus beau, tu as forci, tu renifles : tu es enrhumé ? »
Admiration, inquiétude d’un petit rien : une mère.
À quelques mètres en contrebas, il
était là, juste assez à l’écart pour ne pas troubler les effusions. Il se livra
à une manœuvre dont il semblait avoir étudié d'avance le moindre détail : affichant
un air distrait, il remonta à pas vifs, nous dépassa, puis, faisant mine de
réaliser, revint sur ses pas. « Oh,
Bertrand, ça boume ? »
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
Épisodes précédents : cliquer
Photo 1 Charles Egermeier
Photo 2 Un lave-linge d'époque
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
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Photo 1 Charles Egermeier
Photo 2 Un lave-linge d'époque
5 commentaires:
La lessive était la corvée hebdomadaire de ma mère et ma grand mère. Elles emportaient sur la brouette la lessiveuse dans laquelle elles avait fait bouillir les blancs (le linge de maison blanc, draps, serviettes, torchons,) jusqu'au lavoir. Elles disposaient un caisson garnie de paille pour s'y agenouiller et la brosse en main elles frottaient vigoureusement le linge, qui baignait dans le lavoir.
Demian
J'aime beaucoup ce texte. Il me fait penser à l'enfance, aux machines à laver en panne qui nous obligeaient à lessiver à l'ancienne... et puis c'est un joli texte sur les mères... (merci pour elles ;-) j'en ai lu, hélas, parfois de très durs, chez des ami.e.s blogueurs/euses, sans doute moins chanceux/ses.
Encore un bien belle page. Les larmes aux yeux. Merci.
Bouleversant. Ne rien faire, ne pas lutter, juste se laisser porter par le juste souffle des mots qui le temps d'un instant, nous emmène dans de doux rêves. Le temps d'un instant, mais si on est très attentif, tout est là .
Merci.
Ah les mères ...
Les illustrations sont toujours au top .
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